La crise profonde du mouvement indépendantiste
québécois est loin d’être résolue. La rupture entre Martine Ouellet, cheffe du
Bloc québécois, et la majorité de ses députés, n’en est que le plus récent
symptôme. Mme Ouellet et son équipe veulent donner au Bloc québécois une
orientation clairement indépendantiste, tandis que les sept démissionnaires
demeurent attachés à la notion très vague de « défense des intérêts du
Québec ». Le retour de Jean-Martin Aussant au Parti québécois, avec toutes
les contorsions rhétoriques qu’elle a demandé, ne fait que mettre en relief
l’incapacité du PQ à clarifier sa démarche souverainiste : mettre à jour
quelques études est une caricature d’approche bureaucratique et le contraire
d’un appel à la mobilisation. La troisième place du PQ dans les sondages, une
tendance lourde depuis plus d’un an, laisse présager une nouvelle crise majeure
dans ce parti au lendemain des élections du 1er octobre. La
situation actuelle du Bloc pourrait être un avant-goût de ce qui attend son
grand frère.
Les causes de cette crise perpétuelle sont
profondes et multiples. Mais d’abord, il y a la pierre angulaire de tout
l’édifice péquiste et bloquiste qui pose problème. Depuis le début, ce courant
politique tente de convaincre la population que la réalisation de la
souveraineté peut se faire sans heurts, avec la bienveillante neutralité des
grandes puissances comme la France et les États-Unis et une négociation à
l’amiable avec l’État canadien. En niant la difficulté de la tâche, loin de
préparer la population pour la lutte, le péquisme et ses avatars inspirent une
méfiance justifiée. Les gens savent que ce changement politique majeur va
demander des efforts, et même des sacrifices. Ils ne peuvent pas faire
confiance à des leaders qui prétendent le contraire.
Ni à
gauche, ni à droite?
Une autre thèse fondamentale du péquisme est
l’idée que l’indépendance serait « ni à gauche, ni à droite mais en
avant » et que, par conséquent, un parti qui veut la réaliser devrait
ratisser très large et viser le centre du paysage idéologique. Ce n’est pas que l’idée de l’indépendance,
dans l’abstrait, soit forcément de gauche. Il y a des indépendantistes au
centre, à droite et même à l’extrême-droite du spectre politique. Dans un pays
qui est déjà indépendant, le maintien de cette indépendance est l’idée
politique la plus largement partagée.
Il en est autrement pour un peuple qui ne s’est
jamais gouverné lui-même. Pour y arriver, la majorité de la population va
devoir s’engager dans une situation risquée, en partie imprévisible ; donc
dans un projet incompatible avec des attitudes conservatrices. C’est ce qu’on
appelle une mobilisation populaire. C’est la lutte pour ce changement de régime
politique qui est foncièrement de gauche, par sa dynamique psychologique et
sociale. On doit choisir entre oser la liberté ou accepter la subordination.
Il faut donc, pour convaincre la population de
faire le saut, que ça vaille la peine, que le projet ait du contenu. Il faut
aussi que le leadership du mouvement soit déterminé et capable de faire face
aux difficultés. Le PQ a échoué sur ces deux fronts. Les efforts de
personnalités sincèrement indépendantistes comme Martine Ouellet ou Jean-Martin
Aussant se heurtent donc aux fondements de la culture politique du PQ et du
Bloc. Tant qu’ils et elles ne prendront pas conscience de cette incompatibilité
profonde, leurs efforts seront aussi vains que ceux de Sisyphe.
Austérité et identité
C’est sur cette pierre angulaire conservatrice,
dans la vision de la souveraineté elle-même, que s’est ajoutée naturellement
une acceptation des dogmes économiques dominants : libre-échange au
service des multinationales, équilibre budgétaire au prix d’un étranglement des
services publics, servilité devant les investisseurs privés et
« l’angoisse fiscale » des riches, etc. Les gouvernements de Lucien
Bouchard, Bernard Landry et Pauline Marois nous ont tous servi cette médecine
qu’ils ont en commun avec leurs adversaires libéraux ou caq.adéquistes.
N’ayant rien à offrir de positif à la
population pour construire une majorité autour de leur projet, les stratèges
péquistes, après avoir été dépassés sur le terrain dit identitaire par l’ADQ à
l’époque de la fausse crise des accommodements raisonnables, ont jeté leur
dévolu sur une bonne vieille tactique : la recherche de boucs émissaires.
Incapable de confronter les puissants, ils et elles se sont enfoncés dans la
création d’un faux problème : la prétendue menace à la laïcité de nos
institutions publiques et aux « valeurs québécoises » posée par
l’existence d’un pluralisme religieux et culturel dans notre société, avec, en
tête de liste des dangers imaginaires, les femmes musulmanes portant des
foulards.
Aucun bilan sérieux n’a été fait au PQ sur les
dommages causés à la société québécoise, au projet indépendantiste et à leur
propre parti par l’adoption de cette stratégie de la division identitaire. L’ampleur
des torts infligés au Québec par le gouvernement Marois est d’autant plus
remarquable qu’il n’a assumé le pouvoir que durant un an et demi. Quant au
Bloc, qui aurait pu servir de refuge pour les péquistes refusant cette
politique, il s’y est plutôt rallié, que ce soit par conviction ou par esprit
de camp.
Pour les indépendantistes qui restent au PQ et
au Bloc, la rupture avec la pensée économique dominante et avec la dérive
identitaire sont des passages obligés. Autrement, ils et elles resteront piégés
et couleront avec le reste du navire amiral.
Une autre vision du pays possible
La fusion entre Québec solidaire et Option
nationale permet de présenter à la population une nouvelle offre politique
fondée sur des principes bien différents de ceux du PQ et du Bloc. D’abord, le
cœur du projet politique du parti unifié n’est pas un nationalisme étroit ou
revanchard mais la volonté de changer le Québec sur la base d’une révolution
démocratique menée par et pour la vaste majorité de la population,
indépendamment de ses origines.
L’indépendance, dans notre programme, est à la
fois fin et moyen. Elle est une bonne idée en elle-même parce qu’elle permet de
mettre fin à des siècles de colonialisme et de néocolonialisme, et ce en toute
solidarité avec les peuples autochtones. Elle nous permet de sortir du carcan
constitutionnel canadien, avec ses principes monarchistes et hiérarchiques,
pour le remplacer par une constitution élaborée démocratiquement à travers une
assemblée constituante élue et une vaste consultation populaire.
L’indépendance est aussi un moyen indispensable
pour la réalisation du reste de notre projet politique. Sans elle, les
relations internationales, l’armée, les rapports avec les peuples autochtones,
une bonne partie des infrastructures de transport de même que les principaux
leviers de la politiques économiques continueraient de nous échapper. Alors
comment opérer la décolonisation, rompre avec le militarisme, effectuer la
transition énergétique ou combattre les inégalités sociales et la
pauvreté ?
Bref, le parti résultant de la fusion entre QS
et ON prend complètement à rebours la logique de capitulation face aux pouvoirs
établis et de renoncement à tout changement significatif qui a miné le projet
péquiste dès le départ, et nous amène, un demi-siècle plus tard, à la
tragi-comédie de la crise perpétuelle d’orientation et de direction des partis
souverainistes traditionnels.
vers un nouveau parti de masse
Québec solidaire a toujours cherché à incarner
cette vision positive et enthousiasmante du pays possible. L’arrivée des gens
d’Option nationale vient confirmer que cette perspective nous permet de
regrouper de nouvelles forces politiques parmi ceux et celles qui en ont assez
d’attendre les « conditions gagnantes » et autres détours et qui
veulent travailler dès maintenant à convaincre et à mobiliser la population
pour un changement de régime.
Cet élargissement de la base militante du parti
n’est pas sans sa dose d’inconfort et ses difficultés d’adaptation. Nous ne
sommes pas spontanément d’accord sur tout. Il y aura des débats à faire au
cours des prochaines années afin de clarifier le contenu et le sens de notre
projet politique. Mais nous sommes d’accord sur l’essentiel. Comme le disait si
bien Sol Zanetti lors du lancement de sa campagne pour l’investiture dans
Jean-Lesage, nous voulons que le Québec soit un exemple de ce qui est possible
en Amérique du Nord, un pays inspirant pour le reste du monde, notamment le
premier sur le continent à être fondé sur des rapports égalitaires entre une
nation issue de la colonisation et des nations autochtones.
Afin de préparer le terrain pour la poursuite
de la croissance du parti, les militantes et les militants qui ont porté le
projet politique indépendantiste de gauche pendant toutes ces années, à travers
le PDS, le RAP, l’UFP puis Québec solidaire, se doivent d’accueillir
chaleureusement les nouvelles et nouveaux solidaires qui nous ont rejoint
récemment à travers le processus de fusion. En fait, nous devons faire de cette
ouverture généreuse une bonne habitude.
Dans cette optique, il est essentiel que Sol Zanetti,
le chef d’Option nationale qui a misé sur la fusion avec QS, soit candidat dans
une bonne circonscription à l’élection du 1er octobre. Les membres
du parti dans Jean-Lesage doivent prendre conscience de l’importance
stratégique nationale de cette candidature. Nous devons lui donner la place qui
lui revient dans l’espace public durant la période électorale afin qu’il porte
haut et fort notre message d’ouverture envers les indépendantistes
progressistes qui hésitent encore à nous rejoindre.
La crise profonde du PQ et du Bloc est loin
d’être terminée et devrait, si nous faisons bien notre travail, générer des
vagues successives de ralliement autour de notre vision « du pays à vivre,
du pays à semer, du pays à manger », comme le chante Vigneault. C’est la
voie à suivre pour construire autour de nous un parti de masse capable de
mobiliser une nouvelle majorité politique et sociale. Cette croissance parfois
inconfortable est une condition essentielle de la réalisation de notre projet. Québec
solidaire, c’est l’arbre qui pousse dans le champ de ruines. Accueillons tous
ceux et toutes celles qui veulent le faire grandir.
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