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Unilatéralisme et souveraineté populaire

L’entente en vue d’une fusion entre Québec solidaire et Option nationale est un document qui prend son sens lorsqu’on le situe historiquement dans l’évolution du mouvement indépendantiste et de la gauche. Une telle approche permet de prendre du recul par rapport aux détails de l’entente, et de se rappeler que l’essentiel est la lutte dans laquelle nous sommes engagés contre les forces du statu quo économique, social, écologique et constitutionnel. Dans cette lutte, les principes de la souveraineté populaire et de l’unilatéralisme dans la démarche indépendantiste sont complémentaires, et non opposés. La fusion entre Québec solidaire, dont la démarche a été davantage axée sur la souveraineté populaire, et de ON, qui incarne davantage l’approche unilatéraliste, devrait reposer sur une compréhension de l’interdépendance de ces deux éléments.

L’impossible négociation

Il convient d’abord de rappeler que le peuple québécois est soumis depuis maintenant 35 ans à une constitution canadienne à laquelle il n’a consenti d’aucune manière, ni directement par voie de référendum, ni indirectement par un vote de son Assemblée nationale. Les efforts en vue de corriger cette situation (les accords de Meech et de Charlottetown) se sont soldés par des échecs parce que le reste du Canada (ROC) a considéré que les demandes du Québec étaient excessives. C’est ce qui nous a conduit au quasi match nul de 1995, puis à l’adoption en 2000 d’une loi niant le droit du Québec à l’autodétermination au nom orwellien de « Loi sur la Clarté référendaire ». Depuis ce temps, le mouvement souverainiste a eu bien de la difficulté à se renouveler et le camp fédéraliste autonomiste n’a fait qu’accepter de plus en plus sereinement sa propre série de défaites.

À la veille des prochaines élections québécoises, le PLQ n’a comme politique constitutionnelle que le vague espoir d’un nouveau dialogue avec le ROC sur la base de l’affirmation de sa part que « être Québécois est notre façon d’être Canadien ». L’annonce de cette politique a été accueillie avec une froideur arctique par Justin Trudeau et les autres interlocuteurs potentiels. La CAQ, de son côté, a troqué l’autonomisme originel de l’ADQ (dans le camp du OUI en 1995, rappelons-le) pour un vague nationalisme économique et des politiques « identitaires » basées sur une xénophobie ordinaire. Le PQ, après avoir joué avec des discours alambiqués et des euphémismes pendant vingt ans a fini par admettre qu’il a abandonné en pratique la lutte pour l’indépendance. Il s’engage à ne rien faire allant dans cette direction durant tout un éventuel prochain mandat au gouvernement provincial. Sa défense du droit du Québec à l’autodétermination s’exprime maintenant à travers la revendication de la capacité pour le Québec d’adopter des lois brimant les droits de quelques dizaines de femmes portant des vêtements cachant leurs visages ou d’autres minorités religieuses n’ayant aucun pouvoir dans notre société.

Mais ce virage démagogique « identitaire » récent de la part du PQ ne devrait pas nous conduire à une sorte de nostalgie à rabais pour les années Landry, Bouchard, ou même Lévesque. Le PQ a accepté le cadre légal canadien clairement comme limite à son projet depuis son congrès de 1974, avec la notion du « mandat de négocier » une nouvelle entente entre le Québec et le Canada. Il n’a jamais été question pour ce parti, du moins dans sa pratique politique publique, de préparer une déclaration unilatérale d’indépendance. Ce refus d’envisager la lutte pour l’indépendance comme une révolution démocratique, forcément unilatérale, et dont le succès dépendrait de la mobilisation populaire n’est-il pas, au fond, la raison de l’impasse stratégique dans laquelle ce parti se trouve depuis 22 ans ?

Le PQ a aussi intégré à sa pratique gouvernementale les dogmes du néolibéralisme, dont celui du déficit zéro. L’échec de la stratégie du compromis avec l’État canadien comme les résultats des politiques néolibérales (pauvreté, inégalités, détérioration des services publics et des conditions de travail, etc.) ont donné naissance à une série de rassemblements politiques en rupture avec un ou l’autre de ces deux volets du péquisme, ou les deux à la fois.

L’émergence d’une alternative indépendantiste de gauche

Sur le plan social, c’est logiquement un programme de gauche qui a émergé à travers le PDS, le RAP, l’UFP, Option citoyenne et éventuellement Québec solidaire. Sur la question nationale, la gauche a aussi rompu avec l’approche du PQ pour adopter une stratégie fondée sur l’affirmation de la souveraineté populaire, exprimée notamment par l’assemblée constituante. Fini les tractations au sommet en vue d’une décentralisation radicale en passant par les institutions existantes. Il n’y a d’ailleurs aucune mention dans le programme de Québec solidaire de négociations avec l’État canadien. La nouvelle légitimité d’un Québec indépendant s’affirme par des processus démocratiques autonomes, incluant l’assemblée constituante et le référendum.

Il y a donc chez QS un unilatéralisme implicite en arrière-plan d’une démarche centrée sur la démarche d’auto-détermination collective du peuple. Le référendum proposé par QS n’est pas comme celui du PQ. Au lieu de donner un mandat de négocier, il donnerait le mandat de procéder à la réalisation de l’indépendance. Cet unilatéralisme place le programme de QS en conflit avec la légalité canadienne, soit la constitution de 1982 et la Loi sur la Clarté.

Cette rupture institutionnelle est affirmée dans la section du programme traitant de l’assemblée constituante : « Un gouvernement de Québec solidaire proposera l’adoption d’une loi sur l’Assemblée constituante définissant son mandat, sa composition et sa démarche. L’Assemblée nationale devra en même temps affirmer la souveraineté du peuple du Québec et le fait qu’il est le seul habilité à décider de ses institutions et de son statut politique, sans ingérence de l’extérieur. » Le programme de Québec solidaire affirme aussi que « le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond. Il est impossible pour le Québec d’y obtenir l’ensemble des pouvoirs auxquels il aspire, sans même parler de ceux qui seraient nécessaires aux changements profonds proposés par Québec solidaire. » Bref, QS a toujours été indépendantiste, n’en déplaise aux détracteurs.

La trajectoire d’Option nationale, quant à elle, est partie de l’idée de l’élection référendaire, donc d’une légitimité exprimée indirectement par la population via l’élection d’une majorité indépendantiste à l’Assemblée nationale. Cette position est légitime d’un point de vue éthique mais faible sur le plan stratégique. Une élection portant clairement sur l’indépendance, remportée par les indépendantistes, a beaucoup plus de légitimité démocratique que la constitution canadienne dont le texte a été négocié dans notre dos entre 10 personnes (le Premier ministre du Canada et ceux des 9 autres provinces). Mais étant donné le taux de participation inférieur à celui des référendums et le mode de scrutin permettant de remporter la majorité des sièges sans avoir obtenu une majorité de voix, une telle base démocratique serait insuffisante dans la quête d’une reconnaissance internationale, essentielle à une démarche unilatérale.

De ce point de départ, ON a évolué en intégrant la proposition de l’assemblée constituante, issue à l’origine de l’UFP et reprise aussi par les organisations indépendantistes de la société civile. La préparation en vue d’une déclaration unilatérale est bien visible dans son programme, notamment avec l’adoption d’une constitution provisoire par l’Assemblée nationale, comme point de départ du processus constituant. Le programme d’ON inclut aussi la LIT (Lois, impôts et traités), soit un engagement à poser une série de gestes unilatéraux en vue de transférer des responsabilités du fédéral vers le Québec avant la déclaration d’indépendance.

Mais au total, leur démarche est structurée par trois grandes étapes, comme celle de QS : l’élection, l’assemblée constituante, le référendum. Il y a des différences quant à la signification donnée à chacune des étapes, mais l’allure générale est similaire.  On retrouve aussi cette démarche dans la Feuille de route vers l’indépendance élaborée à l’invitation des OUI-Québec mais qu’aucun des partis n’a encore ratifié formellement.

Pas de souveraineté populaire sans unilatéralisme

On peut constater en observant la crise catalane que les questions liées à la démarche menant à l’indépendance sont complexes et concrètes. Les réponses qu’on leur donne devront tenir compte des rapports de force au moment d’une éventuelle victoire électorale. Il faudra élaborer et préciser davantage les propositions du parti sur plusieurs sujets afin d’être véritablement préparés à assumer les conséquences non seulement d’une victoire électorale mais aussi d’une victoire référendaire. À cet effet, un examen attentif des propositions qui ont été élaborées par ON sera essentiel.

C’est aussi dans cette optique qu’il faut comprendre le paragraphe de l’entente qui affirme qu’un « gouvernement de Québec solidaire appliquera les mesures prévues à son programme qu’elles soient compatibles ou non avec le cadre constitutionnel canadien ». C’est aller un peu plus loin dans l’affirmation d’un unilatéralisme qui est déjà présent dans le programme de QS. Ne pas annoncer notre volonté d’aller au-delà de la légalité canadienne serait en fait malhonnête. L’assemblée constituante elle-même est un défi lancé à l’ordre constitutionnel existant par l’affirmation du principe de la souveraineté du peuple. C’est précisément cette rupture avec la constitution canadienne qui donne à l’assemblée constituante sa capacité à remettre en question toutes les institutions et à fonder une nouvelle démocratie.

Bref, pendant que les indépendantistes de ON (et ailleurs) arrivent à la conclusion que la déclaration unilatérale d’indépendance, seule réponse adéquate à l’impasse constitutionnelle canadienne, est impossible à réaliser sans une démarche fondée sur la souveraineté populaire; la gauche, à travers QS, doit aussi prendre conscience que son idéal de démocratie participative et égalitaire est impossible à réaliser dans le cadre de la légalité constitutionnelle canadienne et demande une démarche unilatérale. L’indépendance du Québec sera une révolution démocratique ou ne sera pas. Un gouvernement solidaire mènera cette lutte jusqu’au bout ou s’effondrera devant les ultimatums de l’État canadien et des puissances économiques. C’est sur la base de cette lucidité radicale que devrait être fondée la fusion entre Québec solidaire et Option nationale.


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