NB: Le texte qui suit constitue une tentative de résumé de l'argumentation qui sera développée en détail dans l'essai sur lequel je travaille depuis quelques mois. J'espère qu'il sera publié cet automne. Vos commentaires et suggestions sont les bienvenus. Le titre du billet serait celui du livre, jusqu'à ce que je trouve quelque chose de mieux...
Dans le mouvement indépendantiste québécois des années 1960 et 1970, le thème
de la décolonisation était omniprésent. Ce qui s’explique par le contexte des
mouvements de décolonisation du Tiers-Monde. Les indépendantistes
s’identifiaient alors aux luttes menées du Viet Nam à Cuba en passant par
l’Algérie. C’était aussi l’époque de la lutte pour les droits civiques des
Afro-Américains et du American Indian Movement (AIM) : des luttes
anticoloniales de l’intérieur tout près de chez nous. Dans ce climat de
mobilisation et de remise en question des structures de pouvoir, le Québec
vivait des transformations profondes qui s’exprimaient – outre dans le
mouvement indépendantiste – dans un syndicalisme combatif, des luttes
étudiantes incessantes et un mouvement féministe revendicateur. Pour plusieurs,
c’était l’époque du slogan « indépendance et socialisme ».
Puis, la domination du Parti québécois sur le mouvement indépendantiste
a conduit progressivement à l’abandon de la perspective anticoloniale jugée
trop radicale, susceptible de faire peur à certains segments de la population
(en particulier le patronat) et aux puissances étrangères dont on espérait
obtenir l’appui ou la neutralité (États-Unis, France). En même temps, le
mouvement de décolonisation faisait graduellement place à un néocolonialisme,
moins violent mais tout aussi efficace. Les mobilisations intenses des années
1960 et 1970 n’ayant pas abouti à des victoires décisives, les forces sociales
conservatrices ont repris l’offensive et imposé le néolibéralisme et la
mondialisation.
En se ralliant à l’ordre politique et économique mondial, au sein duquel
il ne cherchait plus qu’à obtenir une meilleure place pour le Québec, le
mouvement souverainiste a perdu ses arguments les plus forts, autant
historiques que démocratiques, ainsi qu’une bonne partie de sa capacité de
mobilisation populaire et de rassemblement. Il n’en restait plus que l’ambition
des élites provinciales (Québec inc., la haute fonction publique, les leaders
politiques) à obtenir plus de pouvoirs pour appliquer le même programme
néolibéral que le gouvernement du Canada… en français !
Ce vide a éventuellement été comblé par le virage dit identitaire opéré
par le PQ sous le leadership de Pauline Marois à la suite de sa troisième place
aux élections de 2007. Le retour au nationalisme ethnique, en continuité avec
les courants politiques conservateurs dans l’histoire du Québec, s’est combiné
avec l’imitation de la laïcité conservatrice développée par les élites
politiques françaises pour donner la Charte des valeurs. Au nom de la laïcité,
un principe politique développé pour assurer l’égalité de toutes et tous
indépendamment des croyances, on a mis de l’avant des mesures discriminatoires ciblant
des minorités et nourri tous les pires préjugés. Cette stratégie identitaire
n’a conduit qu’à la division et à la démobilisation, en plus de discréditer le
mouvement.
Aux racines du colonialisme
Le colonialisme est un produit de l’impérialisme, c’est-à-dire la
compétition entre les États dans un monde à la fois unifié et divisé par le
capitalisme. Ces deux aspects de l’organisation du monde à notre époque sont
également inséparables du militarisme qui n’est au fond qu’une forme extrême de
compétition. Une idéologie est toujours nécessaire pour justifier les ambitions
impérialistes, les crimes de guerre et les politiques coloniales. Durant la
Guerre froide, le communisme et l’anticommunisme ont occupé le devant de la
scène. Depuis, on est revenu aux vieilles méthodes datant des débuts du
colonialisme avec une recrudescence du racisme sous différentes formes.
Celui-ci n’a rien à voir avec « les races » qui sont des
constructions de l’esprit. Il peut très bien opérer sur la base de différences
culturelles, notamment religieuses, et diviser des personnes en apparence fort
semblables.
Le néocolonialisme est un ensemble de politiques permettant d’arriver
aux mêmes objectifs que le colonialisme des siècles précédents mais en faisant
l’économie d’occupations militaires hasardeuses ou d’une administration
étrangère directe des territoires dominés. On se contentera d’utiliser une
situation de dépendance économique pour intimider et corrompre. Résister à ce
type de domination demande non seulement l’indépendance politique formelle,
mais une capacité à résister aux pressions par des politiques économiques
audacieuses, la mobilisation populaire et la solidarité internationale. Le cas
de la Grèce, mise en tutelle par les institutions européenne qu’elle avait
contribué à fonder, illustre avec force les défis d’une véritable indépendance
dans un monde dominé par les marchés financiers et les grandes puissances.
Une bonne partie de l’opinion publique occidentale tombe dans le piège
de l’islamophobie et attribue à la religion musulmane en général la
responsabilité pour le développement récent de courants politiques
ultra-conservateurs s’en réclamant. Cette interprétation idéaliste et mécaniste
du fondamentalisme religieux (les mauvaises actions viennent directement des
mauvaises idées) doit être critiquée à partir d’une approche historique et
matérialiste (les mauvaises idées servent des intérêts et sont construites par des
forces sociales).
Les phénomènes de la montée du fondamentalisme religieux et des idéologies
autoritaires est loin d’être exclusif au monde musulman et affecte presque
toutes les sociétés. Il s’agit de réponses réactionnaires à la crise de
légitimité du capitalisme mondialisé dont les conséquences désastreuses (dérèglement
climatique, guerres, famines, épidémies) sont de plus en plus évidentes. Plutôt
que de remettre en question les intérêts économiques et les rapports de pouvoir
en cause, les idéologies réactionnaires rejettent la faute sur des minorités (xénophobie)
ou sur la décadence morale de la majorité (conservatisme). Dans le paysage
idéologique et politique actuel, l’islamophobie joue un rôle clé pour justifier
les politiques colonialistes et répressives, les crimes de guerre et les actes
ou discours xénophobes. Il s’agit de la forme la plus sournoise du chauvinisme
blanc, d’une idéologie aux racines séculaires en même temps que branchée sur
l’actualité.
Une lutte pour ici et maintenant
Notre époque est également marquée par un retour de la pensée
anticoloniale, sous de nouvelles formes. Le néocolonialisme et la
mondialisation ont généré de nouvelles résistances, remarquables à partir du
tournant du siècle, dont le mouvement altermondialiste et des révolutions
démocratiques (Venezuela, Bolivie, Tunisie…). L’offensive impérialiste et
colonialiste qui se cache derrière la rhétorique de la « guerre contre le
terrorisme » provoque aussi des résistances dont certaines prennent des
formes rétrogrades et brutales (Al Qaeda, Daesh). Tandis que d’autres sont
inspirantes et transforment le paysage politique par des mobilisation massives
(mouvement contre la guerre en Irak).
En Amérique du Nord, la persistance du racisme institutionnalisé malgré
l’obtention d’une égalité formelle des droits, en plus des politiques cruelles
envers les migrants, ont été aussi l’occasion de développer de nouvelles formes
de luttes (grèves des sans papiers, Black Lives Matter…). Du côté des peuples
autochtones, la résistance séculaire aux politiques d’assimilation (et parfois
d’extermination) et les luttes contre les projets économiques touristiques ou extractivistes
(Standing Rock, Sun Peaks) et pour la justice élémentaire (pensionnats, femmes
tuées et disparues…) ont fait ressortir la persistance de la domination
coloniale malgré le discours officiel affirmant l’égalité et prônant la
réconciliation.
Le Canada, passé depuis longtemps de succursale de l’empire britannique
à puissance impérialiste secondaire mais autonome, le néocolonialisme constitue
un des fondements du régime économique et politique. Donnons comme exemples la
procrastination infinie dans les négociations avec les peuples Autochtones, la
complicité avec les industries extractivistes ici comme à l’étranger et le
rejet catégorique de toute réouverture du débat constitutionnel sur la base des
demandes du Québec. L’unité des mouvements progressiste et des luttes sociales
dans l’État canadien ne peut se réaliser que contre les fondements de cet État
colonial, et non dans un effort futile pour le réformer.
Pour un mouvement indépendantiste anticolonial
Au Québec, l’émergence d’une nouvelle force politique (Québec solidaire)
participe de ces mouvements contemporains de résistance au colonialisme et à
ses partenaires l’impérialisme, le militarisme et le racisme. La crise
stratégique que vit le mouvement indépendantiste constitue une occasion de
renouveler l’argumentaire et de relancer la mobilisation pour une
décolonisation du Québec, en solidarité avec les luttes des Autochtones ainsi
qu’avec la lutte des minorités racisées contre la discrimination et la montée
de l’extrême-droite.
Il n’y aura pas d’avenir pour le mouvement indépendantiste québécois en
dehors d’une lutte acharnée contre toutes les formes de colonialisme, pas
seulement celui du Canada envers le Québec, mais aussi celui du Canada et du
Québec envers les Premières nations, celui de la société blanche contre les
populations racisées, celui des peuples du Sud contre les entreprises
coloniales et néocoloniales basées au Québec et au Canada. Dans cette lutte, une
démocratie participative et une laïcité égalitaire seront essentielles. C’est à
cette grande alliance pour la décolonisation et une révolution démocratique que
cet ouvrage nous invite.
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