Le dimanche 30 avril, à mi-chemin entre les
deux tours de l’élection présidentielle française, ma conjointe et moi sommes
allés faire notre marché à la Place des fêtes, dans le 19e
arrondissement. Durant notre périple à travers les kiosques des marchands de
légumes, de fromage et d’accessoires en solde, nous avons croisé cinq opérations
de diffusion de tracts : la campagne Macron (En Marche !), le Parti
socialiste, le Parti communiste, la France insoumise et le Nouveau parti
anticapitaliste (NPA). Personne ne diffusait pour Le Pen et le Front national
dans ce quartier qui a placé Mélenchon en tête au premier tour avec 30% des
voix, laissant un maigre 5,78% à la candidate d’extrême-droite.
L’instrument de campagne de l’ancien ministre « socialiste »
et ancien banquier se présentant comme « de droite et de gauche à la fois »
est un tissu de banalités du genre « lorsqu’il parle d’économie, lui, il sait
de quoi il parle ; il a travaillé dans une entreprise… », ou encore « il
veut faire entrer la France dans le 21e siècle ». Les sondages
indiquent que les personnes ayant l’intention de voter pour lui le 7 avril le
font pour les deux tiers uniquement afin de battre « l’autre » et non
par adhésion. En fait, on se demande à quoi ils et elles pourraient adhérer !
Il semble s’en contenter, tout en cherchant à construire un nouveau parti
autour de sa personne en absorbant la droite du PS et les éléments les plus
modérés de la droite traditionnelle. Le tout autour d’un engagement ferme en
faveur de l’Union européenne et d’un statu quo néolibéral à peine remanié.
Le tract du Parti socialiste est remarquable
par le fait qu’il est entièrement dédié aux attaques contre le FN. Aucune
critique de Macron à l’horizon. Se pourrait-il que la direction du PS se
prépare à gouverner avec Macron, dans une grande coalition centriste ? On
ne peut qu’approuver ses attaques contre le FN qui voudrait « trier les
Français en les obligeant à prouver leur « francité ». Mais on ne
peut qu’être mal à l’aise devant l’idée qu’un gouvernement FN constituerait une
« vassalisation de la France à la Russie de Monsieur Poutine ». On
trouve ici un écho de l’approbation sans nuances du « socialiste frondeur »
Benoit Hamon pour le bombardement de la Syrie.
Le petit groupe communiste (PCF) avait un tout
autre message. Leur feuille soulignait comment les 19% de Mélenchon au premier
tour étaient un gage d’espoir pour la reconstruction d’une gauche combattive,
pour ensuite appeler à « faire barrage au Front national » en votant
pour Macron au second tour. À noter, cette notion du barrage a donné naissance
à l’appellation de « castors » pour décrire l’électorat de gauche
votant pour Macron. Puis, on explique que ce vote n’est pas un appui pour le
programme de Macron et que les élections législatives seront une occasion de le
démontrer en votant pour des candidatures de la France insoumise, du PCF ou d’autres
organisations ayant appuyé Mélenchon.
Le document de la France insoumise (FI), l’organisation
mise sur pied par Mélenchon pour rassembler largement autour de sa candidature
et d’un programme diffusé largement et élaboré collectivement, ne disait
pratiquement rien sur le second tour. Le contenu était axé sur la célébration
du chemin accompli en pointant vers les législatives de juin comme prochain défi
collectif. Étrange quand on sait que c’est le débat entre les « castors »
et les « ni, ni » qui occupait alors toute la place à gauche. Mais leur
choix stratégique, tel que Mélenchon lui-même l’a expliqué en entrevue, est de
maintenir l’unité du camp des Insoumis au-delà du débat tactique sur le vote du
7 mai, le tout en vue d’une bataille majeure lors des législative. Les sondages
indiquent qu’environ la moitié des personnes qui ont voté Mélenchon au premier
tour ont l’intention de voter Macon au second, tandis que le tiers annulera ou
s’abstiendra et qu’une personne sur six voterait… Le Pen ! On peut être
troublé par un tel report des votes. Mais il y a effectivement entre la
candidate du FN te celui de FI des points communs au moins en surface comme la
critique de l’Union européenne et de la mondialisation. Un des points forts de
la campagne de Mélenchon était justement de donner un débouché de gauche à des
insatisfactions et des colères qui autrement peuvent être récupérées par la
démagogie du FN.
Enfin, le NPA a diffusé un tract d’une page en
noir et blanc indicateur d’un manque de moyens en comparaison avec les autres
organisations avec leur papier glacé bleu, blanc et rouge… Leur message pour le
7 mai est clairement du côté du « ni, ni » d’une bonne partie de la
gauche radicale qui ne digère tout simplement pas l’idée de voter pour un des
inspirateurs des politiques anti-ouvrières de l’administration Hollande. On
peut le comprendre. Mais on ne peut que déplorer comment les camarades du NPA sous-estiment
et dénigrent la campagne remarquable de Mélenchon. Ils affirment que la crise
des partis traditionnels de gouvernement (Républicains et PS) « ne profite
malheureusement pas à une gauche plus combative ». Vraiment ? Et les
7 millions de personnes qui ont voté Mélenchon seraient des
sociaux-libéraux finis ? Ils résument leur argumentation contre la
campagne des insoumis à un rejet de leur utilisation du drapeau tricolore et du
slogan « Vive la France ! ».
Ce nationalisme minimaliste serait-il assez condamnable pour effacer
tout ce que le programme des Insoumises et des Insoumis propose ? Comme la
transition écologique, le retrait de l’OTAN, la gratuité complète de l’éducation
et de la santé l’accueil des réfugié-e-s et le retrait de toutes les attaques
néolibérales contre les droits du travail ?
Pour conclure, ajoutons un autre tract qui n’était
pas à la Place des fêtes ce matin-là mais que nous avons obtenu via un militant
local, soit celui du collectif Ensemble du département de Seine-St-Denis. Leur
slogan : « Pas un vote pour le Pen, pas de répit pour Macron »
allait dans le même sens que celui du PCF. Puis, lors de la manifestation du 1er
mai, le contingent de Ensemble diffusait des autocollants avec comme slogan « Le
7 mai, battre Le Pen; Le 8 mai, résister à Macron ». Cet organisation issue
de la convergence entre divers groupes incluant des dissidents du PCF et d’anciens
du NPA qui avaient appuyé Mélenchon en 2012 est majoritairement du côté des
castors, quoique certains de ses membres penchent aussi pour le Ni-Ni.
De mon côté, après avoir lu diverses
contributions à ce débat difficile, mon vote irait aux castors, même si je peux
respecter et comprendre l’attitude des abstentionnistes. Si jamais Le Pen l’emportait,
il faudra d’abord faire porter le blâme sur les gens qui auront voté pour elle !
Puis, on fera ressortir la responsabilité accablante des leaders politiques de
droite comme de gauche qui ont repris et banalisé en leur donnant un emballage
différent les idées racistes du FN. La part des abstentionnistes de la gauche
radicale sera minime dans cette catastrophe. D’ailleurs, on peut spéculer que
si les sondages mettaient Le Pen trop près d’une victoire, beaucoup de ni-nis
se transformeraient rapidement en castors apportant leur brindille au barrage à
reculons !
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