Une élection générale, dans notre système politique actuelle, sert
principalement à déterminer une chose : qui formera le prochain
gouvernement. C’est sur cette base que la majorité de la population détermine
son vote, peu importe les dynamiques locales. Des objectifs comme « avoir
plus de votes » ou « faire élire plus de députés » peuvent avoir
du sens pour un parti, mais pas pour l’électorat. Le Bloc québécois l’a appris
à ses dépens en 2011, quand une bonne parte de sa base traditionnelle a décidé
de voter NPD en vue de remplacer le gouvernement Harper par la meilleure des
deux alternatives crédibles du moment.
Aussi, conclure un pacte tactique avec un autre parti dans le but de
faire élire quelques députés de plus pour les deux organisations impliquées
peut avoir l’air d’une modeste manœuvre visant à modifier quelque peu la
composition de l’Assemblée nationale. On pourrait croire que c’est une
proposition gagant-gagnant et la seule manière de faire progresser Québec
solidaire à court terme. Mais dans les faits, un tel pacte peut faire la
différence entre l’élection d’un gouvernement du parti A ou du parti B, ou
entre un gouvernement minoritaire ou majoritaire. Il faut être disposés à
assumer toutes les conséquences politiques et morales d’un tel geste avant de
le poser.
Afin de déterminer quelle décision pendre entre les trois options
présentées au prochain congrès de Québec solidaire, on doit donc poser la
question du pouvoir et y donner une réponse claire, tant pour nous que pour l’ensemble
de la population. Notre argument ici est que la seule proposition gouvernementale
qui aura du sens en 2018 est celle d’un gouvernement solidaire et que le parti
devrait concevoir sa plateforme et sa stratégie en conséquence. Plus nous nous
serons préparés concrètement à l’éventualité d’une victoire, plus nous aurons
de crédibilité en faisant cette proposition à la population, et plus nous aurons
de chance de dépasser le vote d’estime et de
protestation. Autrement dit, il faut d’abord nous convaincre nous même que nous
sommes prêtes et prêts à cette éventualité avant de convaincre les autres.
Trois options
Les documents préparatoires au congrès des 19 au 22 mai présentent, en
plus d’une proposition consensuelle de la direction du parti pour une démarche
visant la fusion avec Option nationale, trois options pour le débat à propos de
notre relation possible avec le PQ lors des prochaines élections générales.
L’option A, que nous appuyons, consiste en une très longue périphrase pour dire,
au fond, que nous voulons un gouvernement solidaire. Les alliances qui sont envisagées
le sont uniquement avec des organisations qui partageraient nos grands
principes (solidarité avec les Premières nations, indépendance, écologie, féminisme,
développement des programmes sociaux et des services publics, vision inclusive
de la nation, etc.). Aucun parti politique, sauf peut-être Option nationale, ne
correspond à l’ensemble de ces critères. Pour plusieurs des délégué-e-s qui
avaient voté pour la résolution du CN en novembre, il s’agissait d’exclure une alliance ou
un pacte avec le PQ sans le dire. En mai, il faut finir par dire ce qu’on pense
vraiment de ce parti et continuer à expliquer pourquoi QS existe.
L’option B de son côté défend l’idée d’un pacte tactique à portée limitée
avec le PQ en cherchant à donner l’impression que celui-ci n’aurait pas ou
presque pas de contenu politique. Pourtant, le seul intérêt pour le PQ de négocier
une telle entente avec QS serait de faciliter son retour au pouvoir. Le fait
que le contenu politique d’un tel pacte ne serait pas explicite ou limité à
deux ou trois sujets (comme la réforme du mode de scrutin) ne change rien à son
contenu réel, qui sera celui de l’ensemble des politiques du gouvernement issu
de cette élection. Ou bien nous sommes disposés à aider le PQ à prendre le
pouvoir, avec tout ce que ça peut comporter de mal comme de bien, ou bien nous
ne le sommes pas et alors tout pacte devrait être impensable.
De plus, comme nous l’avons mentionné dans un texte précédent, la
députation de la CAQ, quatrième joueur incontournable dans cette équation,
pourrait rendre pratiquement impossible un résultat donnant une véritable
balance du pouvoir à QS, ce qui aurait permis en théorie de limiter les dégâts
causés par un gouvernement Lisée.[i]
L’option C, de son côté, vise à reporter d’un autre six mois la
conclusion d’un débat qui monopolise déjà les activités du parti depuis trop
longtemps. On tente de donner à cette tergiversation une allure de noblesse en
invoquant la démocratie interne au PQ à laquelle on devrait donner le temps de
s’affirmer d’ici leur congrès d’octobre prochain. Mais ce faisant, on
laisserait encore l’initiative à un autre parti et on laisserait planer jusqu’à
moins d’un an des élections une ambivalence stratégique qui nous empêche de
nous préparer convenablement pour la bataille la plus difficile et complexe de
l’histoire du parti.
Ne pas sous-estimer le peuple
S’il y a une chose que la vague d’adhésions consécutive à l’entrée en
scène de Gabriel Nadeau-Dubois devrait nous faire comprendre, c’est que le
paysage politique québécois n’est pas immuable. Les gens savent penser par
eux-mêmes et sont moins solidement attachés à des habitudes politiques que
jamais. Certains hésitent entre nous et la CAQ, parce que nous avons en commun
de rejeter les « vieux partis ». L’appui de 50% des répondants dans un
sondage pour la phrase de GND sur la « trahison de la classe politique
depuis 30 ans » devrait nous remplir d’optimisme.
D’autres hésitent entre nous et les Libéraux parce qu’ils sont contre le
nationalisme identitaire et ont voté « stratégiquement » pour le PLQ
en 2014 afin de battre le PQ de la Charte des valeurs. Ils et elles pourraient
être avec nous cette fois-ci pour rejeter à la fois le copinage libéral avec les
plus riches et le conservatisme identitaire du PQ et de la CAQ.
Enfin, une bonne partie de la base électorale péquiste pourrait se
rallier à nous parce que l’argument de « l’unité des souverainiste »
ne tient plus quand le PQ s’engage à gouverner dans le cadre provincial pour
tout un mandat. Le succès de la proposition de fusion avec Option nationale
pourrait être le catalyseur d’un ralliement significatif chez les
indépendantistes. Aussi, « l’unité des progressiste » que Lisée tente
de mettre de l’avant comme nouveau mot d’ordre est peu convaincante après le
déficit zéro de Bouchard et les deux budgets Marceau de 2013 et 2014.
Bref, en 2018, nous ne serons pas du tout dans la même situation
politique qu’en 2012 ou en 2014. La pire erreur stratégique à faire serait de
tenter de gagner la mauvaise élection en basant toute notre réflexion sur le
bilan des efforts précédents. La pression pour un vote stratégique en faveur du
PQ sera présente, comme toujours, mais pas avec la même intensité qu’en pleine
mobilisation populaire massive contre la loi répressive qui visait à casser le
mouvement étudiant.
Bref, il appartient à Québec solidaire d’adapter sa stratégie à cette situation
politique en pleine transition et de chercher à en tirer le maximum. Pour ce
faire, il faut oser dire à la population que nous abordons la prochaine élection
générale avec comme objectif de la gagner. C’est sur cette base que nous pourrons
mobiliser au maximum les milliers de personnes qui viennent de nous rejoindre et
que nous pourrons continuer à construire sur cette lancée. Nous ne voulons pas
être la « conscience sociale du parlement » ou un rassemblement de
gens bien intentionnés mais condamnés à un rôle d’éternelle opposition. Nous voulons
battre les Libéraux, par nous-mêmes, sur la base de nos idées, de nos
propositions, de nos candidatures. Un point c’est tout!
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