Depuis le référendum de 1995, les
appuis pour l’indépendance du Québec sont demeurés minoritaires dans les
sondages d’opinion. Les militantes et militants indépendantistes ont cherché
par divers moyens à donner un nouveau souffle à leur projet, sans succès. Le
débat sur la stratégie continue à diviser un mouvement globalement désorienté
et plutôt pessimiste. Les milieux nationalistes sont partagés entre un courant
désireux de mettre la perspective indépendantiste sur la glace pour mieux
reprendre le pouvoir et un autre qui préfère perdre les élections que de
renoncer à ses ambitions. Personne ne semble capable de mettre de l’avant une
manière de gagner les élections tout en s’affirmant clairement pour
l’indépendance.
Beaucoup d’indépendantistes
affirment qu’il faut mettre de côté les divers contenus que pourrait avoir le
projet de pays et mettre de l’avant une stratégie du plus petit dénominateur
commun : l’indépendance tout court. D’autres, dont je suis, affirment au
contraire que seul un projet avec du contenu démocratique, social et
environnemental significatif permettrait de rallier une majorité de la
population.
Sortir de la polarisation et tenir compte du
pluralisme
Pour bien comprendre le paysage
idéologique actuel sur la question nationale, il faut reconnaitre le pluralisme
des systèmes de valeurs (ce qu’on appelle en philosophie politique
contemporaine le pluralisme axiologique). Le Québec n’est pas simplement divisé
en deux camps : les fédéralistes et les indépendantistes, avec des nuances
selon qu’on soit plus ou moins « pur et dur » ou impur et mou…
Si on part du principe qu’il y a
une multitude de systèmes de valeurs parmi la population d’une société moderne
- un pluralisme qui ne relève pas seulement de la culture, des croyances
religieuses ou de l’ethnicité mais aussi des générations, des milieux de vie,
des régions, etc. - alors on doit admettre que l’indépendance du Québec peut se
positionner de toutes sortes de manières différentes dans le système de valeurs
de chaque personne.
Ces variations sont sans doute trop
nombreuses pour être toutes identifiées. Pour arriver à un portrait utilisable
de la situation, nous allons les schématiser en définissant cinq grandes
catégories de positionnements de l’indépendance du Québec sur le plan des
valeurs. Puis nous apporterons des réflexions sur ce que cet aspect du paysage
idéologique pourrait signifier pour la stratégie du mouvement indépendantiste.
Catégorie 1 : L’indépendance avant tout
Une certaine portion de la
population du Québec voit l’indépendance comme l’alpha et l’oméga de la
politique, tous les autres objectifs ou critères lui étant subordonnés. C’est
l’indépendance par tous les moyens, au plus vite, avec n’importe qui. Pour vue
que ça se fasse. Les autres questions pourront être débattues plus tard. C’est
le camp du « l’indépendance n’est ni à gauche, ni à droite, mais en
avant » ou encore du « un pays comme les autres ». Transférer
tous les pouvoirs du gouvernement fédéral vers le Québec est non seulement vu
comme une fin en soi, quelque chose d’utile, mais comme la fin suprême de
l’action politique tant et aussi longtemps que ce ne sera pas fait.
Catégorie 2 : L’indépendance est une bonne chose
D’autres considèrent l’indépendance
comme une valeur positive parmi d’autres, une bonne chose si rien d’autre ne
change par ailleurs, mais en accordant une importance certaine à ce qui se
passe par ailleurs. Ces personnes sont sensibles à des enjeux comme la
protection de la langue française ou le redressement des torts causés au Québec
historiquement. Mais leur appui au projet n’est pas inconditionnel. Ces
personnes auraient de la difficulté à appuyer l’indépendance si d’autres
valeurs qui leurs sont chères étaient remises en question par le parti
politique qui domine le mouvement. Par exemple, si le mouvement indépendantiste
était dirigé par un parti plutôt conservateur et que la réalisation du projet
devait aller de pair avec des reculs sur le plan des droits syndicaux, des
droits des femmes, des droits des minorités, ces personnes auraient de
sérieuses hésitations à cautionner le projet et à se faire les complices d’un
tel programme. Mais à partir du moment
où la réalisation de l’indépendance signifie des progrès sur certains plans et
pas de reculs significatifs dans d’autres domaines, elles jugeront que le jeu
en vaut la chandelle.
Catégorie 3 : L’indépendance comme moyen
Pour une autre catégorie de la
population, l’indépendance n’est envisagée que comme un moyen d’atteindre
d’autres objectifs : démocratiques, écologiques, sociaux, etc. Sans le
potentiel transformateur du « pays de projet », l’indépendance
n’aurait pas de sens. Ces personnes considèrent que de simplement transférer
des pouvoirs d’Ottawa vers Québec, sans que rien d’autres ne change, est une
proposition sans intérêt ou dont les avantages sont équivalents aux
inconvénients. Il faut que le projet ait du contenu sur d’autres plans ou elles
pourraient annuler leur vote ou s’abstenir advenant une consultation populaire.
Elles ne feront pas de la question nationale une priorité, mais pourraient se
joindre au camp indépendantiste si celui-ci met de l’avant une vision
emballante du pays à construire.
Catégorie 4 : L’indépendance, si nécessaire
Il y a aussi des gens qui
pourraient se rallier à l’indépendance comme un mal nécessaire, en vue de réaliser
d’autres objectifs. Elles ont une préférence pour une approche pancanadienne ou
globale des enjeux politiques. Elles se méfient du nationalisme en général. Elles
peuvent considérer voter OUI dans un référendum en fonction de la dynamique
politique québécoise et canadienne concrète du moment. Si elles constatent que
le mouvement indépendantiste partage en bonne partie leurs valeurs sur d’autres
questions mais que le régime politique fédéral est plutôt fermé à ces mêmes
valeurs, elles pourraient appuyer le mouvement pour des raisons tactiques.
On peut aussi mettre dans cette
catégorie les autonomistes déçus du manque de flexibilité du reste du Canada.
Ces personnes ont voté OUI en grand nombre en 1995 à cause des échecs des
accords constitutionnels de Meech et Charlottetown. Certains ont appuyé l’ADQ
puis la CAQ.
Catégorie 5 : L’indépendance, jamais de la vie
Bien entendu, il y a aussi une
portion de la population du Québec qui est complètement hostile à l’idée de
l’indépendance et le sera toujours. Ces personnes sont disposées à tout
pardonner au régime fédéral et ont un préjugé défavorable très fort face à ce
qui est mis de l’avant par les partis souverainistes. Même si toutes leurs
autres valeurs se retrouvaient dans le programme indépendantiste, elles
préféreront voter pour un parti fédéraliste qui rejette ces mêmes valeurs.
C’est l’image miroir de notre catégorie 1.
Conversions et convergence
Changer le paysage idéologique en
faveur de l’indépendance peut se faire de deux façons : les conversions et
la convergence. La première méthode est celle du militantisme traditionnel. Il
s’agit de convaincre les gens de « changer de catégorie » en leur
apportant des arguments suffisamment convaincants. Sans doute qu’un mouvement
indépendantiste plus actif, avec des moyens et un certain niveau de
mobilisation, pourrait faire des gains de cette façon.
Par exemple, les membres de la
catégorie 1 peuvent convaincre ceux de la catégorie 2 d’accorder plus
d’importance à la question nationale, en faire des 1.5 si on veut. Pour ce
faire, il faudrait les amener à considérer l’indépendance non pas simplement
comme un objectif politique parmi d’autres mais à reconnaître son importance centrale.
Autrement dit, on veut les convaincre que leurs autres objectifs seront plus
faciles à atteindre une fois que le Québec sera indépendant, voir qu’ils
seraient pratiquement impossibles à atteindre autrement.
On peut aussi chercher à convaincre
les gens de la catégorie 3 d’accorder une valeur positive à l’indépendance en
soi, donc en faire de nouveaux membres de la catégorie 2. Pour ce faire, on peut
faire appel à des valeurs comme la résistance à l’oppression néocoloniale (dans
ce cas, celle du peuple Québécois face aux institutions canadiennes), la
diversité culturelle (défense du fait français face à l’anglicisation), la
souveraineté populaire (vs la constitution imposée d’en haut en 1982).
Les 2 et les 3 peuvent convaincre
les 4 de rester neutres entre les options Québec et Canada (les déplacer vers
la catégorie 3) en arguant que les avantages de l’indépendance sont suffisants
pour neutraliser les problèmes associés à la séparation. On peut aussi faire
ressortir que le nationalisme canadien n’est en rien supérieur au nationalisme
québécois et même que l’indépendance permettrait au Québec de jouer un rôle
plus positif sur la scène internationale.
Règle générale, il est plus facile
de convaincre nos voisins de catégorie que les personnes ayant des positions
plus éloignées. Les 1 peuvent difficilement dialoguer avec les 3 et les 4. L’idée
d’un appui conditionnel pour l’indépendance est exaspérante pour les
indépendantistes les plus enthousiastes. On comprend mal une vision politique
qui ne reconnaît pas l’importance de la question nationale elle-même et on
pense avoir affaire à des fédéralistes « déguisés ». De l’autre côté,
on trouve que les 1 sont « nationaleux », obsédés par l’indépendance
au détriment d’autres considérations.
En somme, il faut sans doute
déployer des efforts pour convaincre, mais cette méthode est probablement
insuffisante pour arriver à note objectif dans un avenir prévisible. D’abord,
il y aura toujours de nouvelles personnes à convaincre : les jeunes, les
néo-Québécois, etc. Aussi, il y a des institutions et des organisations qui
travaillent constamment dans le sens contraire et disposent de plus de moyens
grâce à l’appui de l’État canadien et des milieux d’affaire.
Selon nous, la seule méthode qui
pourrait donner des résultats significatifs à moyen terme est celle de la
convergence. Pas celle des partis, qui est une toute autre question, mais celle
des courants d’idée et des attitudes face à l’indépendance. Il s’agit
d’accepter le point de départ des gens (nos quatre premières catégories) en
cherchant à les amener au même point d’arrivée sans leur demander de modifier
leur système de valeurs. Autrement dit,
il faut trouver les arguments pour regrouper tout ce beau monde autour d’un
grand projet commun.
Un projet enraciné dans les enjeux contemporains
Partir de où en sont les gens, ça
veut dire se baser sur leurs préoccupations actuelles. Le projet de pays doit
s’enraciner dans les enjeux concrets de notre époque et leur donner une
perspective positive crédible. À partir du moment où notre objectif est de
rallier des gens des quatre catégories, la question qui se pose est quelles
valeurs, autres que l’indépendance elle-même, sont les plus susceptibles
d’obtenir leur adhésion au projet.
Autrement dit, il nous faut
identifier une série d’enjeux autour desquels nous pourrons rassembler cette
majorité dont nous avons besoin. Bien entendu, la réalité du pluralisme
s’applique aussi à ces autres questions et nous pourrions créer des catégories
pour chacune! Par exemple, certains indépendantistes de notre catégorie 1
accorderont une grande importance aux questions de justice sociale, d’autres
moins.
Le choix des enjeux devrait donc se
faire sur la base de leur potentiel rassembleur (à travers nos différentes catégories)
et mobilisateur (par leur pertinence et leur importance immédiate), et de la
contribution positive que l’accession du Québec au statut de pays souverain
pourrait apporter.
(Nous développerons ce que
devraient être ces enjeux et quelle position le mouvement indépendantiste
devrait y prendre dans la 2e partie de ce texte.)
«L’indépendance par tous les moyens, au plus vite, avec n’importe qui. Pour vue que ça se fasse. Les autres questions pourront être débattues plus tard. C’est le camp du « l’indépendance n’est ni à gauche, ni à droite, mais en avant »- BR
RépondreSupprimerÀ mon avis, c'est la pire des positions, celle qui ne parvient qu'à convaincre des convaincus depuis 40 ans. Cette approche des Landry, Falardeau et cie, qui revient à dire..Construisons la maison! On fera les plans ensuite! Quelle logique! Maison ou piège-à-cons? Se diront avec raison les citoyens.nes les plus rationnels.
De toutes manières, à sa face même, cette position n'a jamais réussi à faire progresser les appuis à l'indépendance d'un iota. Et ça n'a rien d'étonnant, puisqu'il s'agit de la position la plus oisive qui n'explique rien,. ne défini rien et ne propose rien, et donc ne convainc personne.
Pas étonnant que nombre de péquistes l'aient adoptée, puisque le PQ est beaucoup trop à droite pour proposer un contenu vendeur de l'indépendance.
Christian Montmarquette