Dans les pays où on retrouve des partis de gauche issus des mobilisations récentes, ces nouvelles formations (Podemos, Bloc de gauche, Front de gauche, RISE…) finissent par se retrouver devant le même dilemme : participer à une forme ou une autre d’alliance avec la « vieille gauche » (ou des « nationalistes progressistes ») en vue de battre la droite (ou les fédéralistes) tout de suite ou garder son indépendance en vue d’une éventuelle et incertaine prise de pouvoir sur ses propres bases. Québec solidaire se retrouve maintenant devant une situation similaire. Est-ce que l’objectif consistant à « battre les libéraux » - dont on peut comprendre la logique après tous les dommages causés par le gouvernement Couillard - permettrait de justifier un certain degré de complicité de la part de Québec solidaire dans l’avènement d’un gouvernement péquiste? Nous croyons que non pour une foule de raisons déjà explicitées dans un texte précédent.[i] Mais la question de comment répondre aux pressions grandissantes en faveur d’une alliance stratégique (ou l’acceptation de la logique du « vote stratégique » par QS) n’est pas simple pour autant.
Un PQ au bord du gouffre
D’abord, si cette question se pose
plus concrètement que jamais, c’est parce que le PQ n’arrive pas à mobiliser
par ses propres moyens la base électorale nécessaire pour prendre le pouvoir.
La mince victoire de 2012 et la cuisante défaite de 2014 en sont les
indications les plus frappantes, en plus de la déroute du Bloc et de la
persistance des mauvais sondages. L’élection de PKP comme chef a eu un effet
positif très limité et de courte durée, si bien que la direction du PQ tente
maintenant de jouer un double jeu, se présentant comme la seule option crédible
pour l’alternance tout en faisant pression sur Québec solidaire pour une sorte
d’alliance aux objectifs et au contenu pour le moins indéfinis. S’ils ne
peuvent pas gagner sans nous, c’est donc que nous avons une réelle importance!
Le retour de la gauche dans la marginalité est l’objectif inavouable de toutes
leurs manœuvres. L’éclatement du PQ sous la pression de ses propres
contradictions, en même temps que la persistance et l’enracinement de QS, est
le scénario que PKP et son entourage cherchent à éviter.
Pour Québec solidaire, cette
ouverture au dialogue avec le parti de Péladeau constitue un piège dont il est
difficile de se déprendre. Si on refuse de discuter, on prête le flanc à des
accusations de sectarisme, de partisannerie étroite, de complicité de fait avec
les libéraux, etc. Si on accepte, on aide le PQ à se donner un vernis
progressiste qu’il ne mérite certainement pas et on sous-entend que l’élection
d’un gouvernement péquiste serait une amélioration par rapport aux libéraux,
alors que nous savons bien qu’il n’en est rien. Seulement en remontant aux 18
mois du gouvernement Marois, on peut mentionner l’exploitation pétrolière sur
Anticosti, la panique face à « l’angoisse fiscale » des riches et la
Charte des valeurs pour illustrer que sur plusieurs points, le PQ est
équivalent ou pire que les Libéraux.[ii]
Et l’indépendance ?
Les attaques les plus virulentes
contre Québec solidaire proviennent généralement des milieux nationalistes qui
nous accusent de « diviser le vote souverainiste ». Mais le fait est
que PKP ne s’est engagé à rien sur ce plan lors de la course à la direction et
que son bras droit, Drainville, était déjà prêt à remettre un éventuel
référendum à un deuxième mandat. La décision sur la place de la question
nationale dans la plateforme du PQ pour l’élection d’octobre 2018 devrait être
annoncée… au printemps 2018! Et on voudrait que QS passe les deux prochaines
années à partager amicalement des tribunes avec les dirigeants du PQ et à entretenir
l’espoir d’une grande alliance indépendantiste incluant aussi Option nationale!
Nous savons déjà comment se terminerait un tel scénario. PKP n’aura qu’à
constater que les sondages sont toujours nettement défavorables à l’option
souverainiste (ce qui est essentiellement de leur faute) pour justifier le
report de l’échéance aux calendes grecques et nous demander de céder la place
dans une série de circonscription chaudement disputées afin de l’aider à
« battre les Libéraux ».
Mais même si l’élection de 2018
portait, pour le PQ, sur un mandat de se lancer dans une troisième bataille
référendaire, QS devrait rester à l’écart pour le bien de la cause.
Premièrement, le projet politique derrière un éventuel 3e référendum
serait encore plus vide de tout contenu social ou démocratique progressiste que
celui de 1995. On nous demanderait de signer un chèque en blanc à PKP pour
décider du contenu du projet de constitution, ce qui est le contraire d’une
démarche d’autodétermination collective pour le peuple Québécois. Si les
dirigeants péquistes ajoutent un nouveau contenu à leur projet pour donner du
sens à la rupture institutionnelle ce sera probablement un contenu nationaliste
ethnique réactionnaire et xénophobe. Alors que viendrait faire Québec solidaire
dans une telle galère? Ce projet politique, en plus d’être voué à l’échec peu
importe la nature de notre implication, ne mériterait pas qu’on l’appuie.
Pour une convergence populaire
Le projet indépendantiste ne peut
reprendre de l’élan et gagner l’appui de la majorité de la population que s’il
se donne un contenu politique correspondant aux aspirations, aux valeurs et aux
intérêts de cette majorité. L’indépendance sans contenu n’est attirante que
pour ceux et celles qui placent l’indépendance au sommet de leur système de
valeurs politiques ou pour ceux et celles qui considèrent qu’elle serait une
bonne chose en soi, même si rien d’autre ne changeait, et malgré les efforts
que cette rupture demande. Il n’y a qu’une minorité de l’opinion publique
québécoise qui entre dans ces deux catégories, et aucune campagne visant à
convertir les sceptiques ne permettra de changer cette réalité à court terme. C’est
cette minorité nationaliste qui « perd un compté par année » en raison
de l’immigration, comme le disait PKP récemment.
Ce dont le mouvement a besoin,
c’est d’un projet susceptible de rallier aussi les personnes qui voient dans
l’indépendance un moyen de réaliser d’autres objectifs (démocratiques,
écologiques, sociaux, etc.) et même une partie des « fédéralistes
mous » qui préféreraient continuer à faire partie du Canada mais seraient
convaincus de faire ce sacrifice pour obtenir des gains significatifs sur
d’autres plans. Autrement dit, pour rallier une majorité autour du projet de
pays, il faut chercher à rallier tout le monde sauf les inconditionnels de
l’unité canadienne.
Pour ce faire, l’étape d’une
assemblée constituante débattant publiquement et démocratiquement du contenu de
l’éventuelle constitution québécoise est incontournable. Aussi, il faut que la
dynamique sociale soit favorable à une prise en mains de ses propres affaires
par le peuple et mette le patronat (massivement fédéraliste) sur la défensive.
La combativité des mouvements sociaux, en commençant par le mouvement syndical
avec son million de membres, n’est pas qu’un souhait de la part d’un parti de
gauche, c’est une nécessité stratégique si on veut gagner la bataille pour
l’indépendance. Entre autre, une telle mobilisation pourrait nous gagner la
sympathie des classes populaires du Canada anglais et briser leur propre « union
sacrée » nationaliste.
Il est donc logique que les
dirigeants syndicaux qui ont mis le frein à la mobilisation en décembre puis
signé une entente médiocre qui abandonne à leur sort les bas salariés (en la
faisant passer pour une victoire) se préparent à nous inviter à un vote
« stratégique » pour le PQ en 2018. Ils et elles n’ont pas voulu
mener une bataille pour battre Couillard en 2015. Il ne leur reste qu’un
électoralisme à courte vue comme perspective politique. Cette tendance
concertationiste et défaitiste dans le mouvement syndical constitue une branche
parmi d’autres de ce « métapéquisme » que nous avons déjà identifié[iii]
et qui regroupe ceux et celles qui cherchent à reconstituer le mythique PQ des
belles années en dehors du PQ, malgré lui et, paradoxalement, en incluant ce
qui en reste.
Trois tactiques
Il demeure que la question du
comment QS devrait répondre aux avances ambigües du PQ et à l’insistance des
nationalistes est un terrain semé d’embuches. Trois approches tactiques nous
semblent envisageables et imparfaites : l’explication négative, le défi
immédiat et la démonstration par étapes.
L’explication négative consiste simplement à rappeler
tout ce que nous avons à reprocher au PQ (et à PKP, mais ce n’est pas
l’essentiel). Cette approche a le mérite de la transparence, mais sa vertu
éducative et sa portée médiatique sont très limitées. On l’a vu quand les
porte-parole nationaux ont donné des raisons de la difficulté d’un
rapprochement avec un parti dirigé par PKP. Le contenu négatif de cette option
passe difficilement dans l’opinion publique qui n’aime pas les dénonciations et
auprès des médias qui ont la mémoire très courte.
Le défi immédiat correspond à ce que je proposais dans un texte
précédent[iv].
Cette approche consiste à inverser les termes de la première et à s’orienter
vers un avenir positif hypothétique plutôt qu’un passé désolant. Au lieu de
dire pourquoi on ne peut pas s’allier au PQ, on peut énoncer les conditions
(très théoriques) à partir desquelles un rapprochement serait envisageable. Par
exemple, au lieu de dire qu’on ne peut pas s’associer au PQ à cause de la
Charte des valeurs, on peut poser comme condition que le PQ s’engage à ne pas
proposer quelque chose de semblable dans un prochain mandat. Mais il faudrait
que toutes les conditions y soient énoncées immédiatement et clairement afin
d’éviter toute ambiguïté. Le problème ici est qu’on sous-entend, même avec bien
des réserves, que le rapprochement est possible. Aussi, on s’abstient de mettre
le PQ devant son bilan. Ce qui rend service au PQ dans sa stratégie de longue
discussion vague vers une alliance sans principes. Même si QS met cartes sur
table tout de suite, le PQ peut prendre son temps avant de répondre à chacune
de nos propositions.
La démonstration par étapes correspond à la sortie des
porte-parole du parti en mars.[v] En
posant une seule condition préalable à la discussion (la clarification des
propositions du PQ quant à la démarche menant à la souveraineté), cette
tactique permet de maximiser la portée de chaque intervention. Le PQ ne peut
pas se défiler en prétextant la longueur de la liste de conditions ou répondre
à côté de la question. Par contre, la population peut en conclure que la
condition énoncée est la seule nécessaire pour nous et donc que le PQ n’aurait
rien d’autre à faire que d’y répondre favorablement pour gagner note complicité
contre les libéraux.
Toutes ces approches ont des
défauts. Mais la pire tactique, celle qui nous préparerait des lendemains qui
déchantent, consisterait à jouer le jeu des « longues fiançailles »,
sans poser de préconditions, et en évitant d’attaquer soit le chef, soit le
parti, à partir de leurs bilans. Une telle approche reviendrait à cautionner la
thèse voulant que la fondation de Québec solidaire, il y a dix ans, était un
grand malentendu, une séparation temporaire dans la « famille
souverainiste » qu’il s’agirait maintenant de réconcilier.
Peu importe ce que le parti décide
de faire d’ici à 2018 et au-delà, dans ses rapports avec le PQ, ON et les
milieux indépendantistes, il faudra que ce soit sur la base d’une réaffirmation
de la nécessité de notre projet politique, tant pour la justice sociale et la
démocratie populaire que pour l’émancipation nationale. Nous voulons exercer le
pouvoir pour le transformer et pour changer le Québec. Nous n’allons laisser
personne nous détourner de ce projet pour accepter à sa place un rôle de
figuration et des parcelles d’influence éphémère.
[ii] http://www.pressegauche.org/spip.php?article25139
André Frappier, Bernard Rioux et plusieurs autres auteurs ont signé des
articles sur PTAG! qui développent la même idée.
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