Je peux comprendre que l’image de ces femmes qui se cachent
le visage dérange. Elles sont étranges. Elles semblent venir d’une autre
époque, de cet Orient mythique des califes et de leurs harems. Elles sont
devenues le symbole de la montée du conservatisme social et du fondamentalisme
religieux dans certains pays musulmans, un phénomène indéniable et très
préoccupant. Leur geste choque un Occident plus habitué à la nudité qu’à cette
pudeur extrême. C’est le propre de la phobie que de générer une peur panique de
quelque chose qui ne nous menace pas vraiment. C’est l’image qui fait peur. L’étrangeté.
L’altérité « radicale ».
Peu d’entre elles vivent parmi nous. Celles qui y sont se
cantonnent généralement dans leur réseau familial et communautaire. On parle d’elles
quand certains médias ou politiciens décident de faire un scandale national
autour de leur simple existence. Mais qu’ont-elles fait pour mériter un tel opprobre? On leur reproche de vouloir apprendre le français, de vouloir voter, de chercher
à obtenir la citoyenneté, parfois même d’occuper un emploi! C’est pourtant le
minimum qu’on espère de toutes les immigrantes et de tous les immigrants. Le
message envoyé par ceux et celles qui veulent leur interdire toutes ces choses
est qu’elles ne sont pas les bienvenues, qu’elles devraient « retourner
dans leur pays ».
Pourquoi insistent-elles pour cacher leur visage? Est-ce que
c’est à cause d’une coutume bien ancrée dans leur famille? Est-ce que c’est le
résultat d’une conversion religieuse ou d’une forme de dévotion comme avec nos sœurs
cloitrées? Est-ce qu’elles adhèrent à un mouvement politique cherchant à
imposer une version ultra-orthodoxe de l’Islam au monde entier, comme semblent
l’affirmer tous les sous-entendus? Évidemment, la dernière chose que nos
faiseurs d’opinion professionnels vont faire c’est aller leur demander. Mieux
vaut faire circuler des insinuations et encourager les associations d’image, ça
vend plus de journaux et ça permet de gagner plus de votes.
En fait, ces quelques femmes sont devenues des épouvantails.
On effraie le bon peuple en brandissant leur image troublante, ce symbole de la
peur des méchants terroristes musulmans. Elles sont aussi devenues des boucs
émissaires. « Tout ira bien dans notre société égalitaire et pacifique si
on peut seulement la purger de ces quelques indésirables. » Ce sont les
nouvelles sorcières. On les soupçonne de concocter un plan diabolique derrière
ce voile. On leur fait un procès collectif sans débat et menant à une
condamnation sans appel.
On crie : « Liberté! », mais on leur refuse
tous les droits. On s’insurge face à la simple possibilité qu’elles vivent ici,
en paix. Elles n’ont pourtant fait de mal à personne d’autre qu’elles-mêmes en
s’entêtant à porter ce vêtement ostracisant. À leur marginalisation volontaire,
on veut ajouter une discrimination légale. Comme si ces femmes menaçaient d’une
quelconque manière de subvertir nos institutions, de convertir les autres
femmes et « nos enfants » à une pratique qui ne leur donne aucun
avantage. Comme si leur vie ici n’était pas déjà assez remplie d’embuches de
toutes sortes.
Est-ce qu’on devrait leur ouvrir grandes les portes de
toutes les professions? Pas forcément. D’ailleurs, elles ne le demandent pas à
ce que je sache. Comme le disait le philosophe américain Galston, être un
fondamentaliste religieux devrait être possible dans une société pluraliste et
démocratique, mais ça ne doit pas forcément être facile.
Est-ce qu’on devrait valoriser leur choix et célébrer ce
retour à des formes archaïques de la culture patriarcale de certains coins du
monde? Certainement pas. Mais est-ce que nous pensons vraiment que les femmes
qui décident de porter ce type de vêtement vont soudainement cesser de le faire
parce que nous leur compliquons la vie avec des mesures administratives? Il
faut des convictions profondes pour se mettre délibérément à l’écart du reste
de la société de cette façon. Alors permettez-moi d’en douter fortement.
Ce n’est donc pas pour leur bien que la quasi-totalité de la
classe politique québécoise et une bonne partie de celle du Canada désire
adopter des règles pour limiter l’accès à certains droits, à certains emplois
et à certains services aux personnes qui ont le « visage couvert ».
C’est pour donner l’impression de combattre une pratique religieuse qu’on ne
comprend pas et qu’on associe, parfois à tort, parfois avec raison, avec un
extrémisme politique et avec des actes violents.
En conclusion, sur la fameuse question de la prestation du
serment de citoyenneté avec un niqab, la réponse de Trudeau et de Mulcair me
semble la bonne. Si on n’accepte pas que ces femmes deviennent des citoyennes
sans renoncer à leurs croyances, qu’on ait le courage d’appeler carrément à leur
déportation, comme le font la droite et l’extrême-droite en France. Cessons
cette hypocrisie qui consiste à accepter en théorie leur présence parmi nous
tout en leur niant tous les droits en pratique.
Qu’on les accepte et qu’on leur laisse le temps de s’adapter
aux coutumes de leur nouveau pays, à leur rythme, même si ça leur prend vingt
ans ou même deux ou trois générations. Il n’y a pas de hordes à nos portes, pas
d’invasion barbare, pas de danger de coup d’état pour établir une version saoudienne
de la Charia en sol québécois. Tâchons de rester calmes et de nous occuper des « vraies
affaires », comme des attaques du gouvernement Harper contre nos droits
démocratiques (C-51) ou celles du gouvernement du Québec contre nos services
publics.
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