Quand l’Écosse se prépare pour la prochaine fois! La gauche indépendantiste écossaise après le référendum
Le 18 septembre, le référendum sur l'indépendance de
l'Écosse s'est terminé par une victoire des unionistes avec 55% des voix. Mais
une récente visite à Glasgow pour le rassemblement de la gauche indépendantiste[i]
donne fortement l'impression que dans les faits le camp indépendantiste a
gagné. Le Parti national écossais (SNP), au gouvernement à Édimbourg et
initiateur de la consultation populaire, a connu une vague impressionnante
d'adhésions, passant de 25 000 à 80 000 membres. Les autres
organisations indépendantistes comme le Parti socialiste écossais (SSP) ou la
Campagne radicale pour l'indépendance (RIC) ont aussi connu une expansion
qualitative au lendemain de ce que certains appellent le référendum du
« pas tout de suite ».
Les derniers sondages donnent une majorité au OUI malgré
le peu de temps qu'ont eu les autorités londoniennes pour soit réaliser ou
briser leur promesse d'une dévolution importante de pouvoirs. Les sondages
indiquent également que le SNP devrait remporter une majorité des sièges
écossais au parlement de Westminster pour la première fois lors de l'élection
générale prévue en mai 2015.[ii]
Ce serait une défaite cuisante pour le Parti travailliste (Labour), qui a
dominé la politique écossaise jusqu'à tout récemment et a été discrédité par
son alliance avec les conservateurs, la monarchie et les riches dans la
campagne du Non; sans oublier tout l'héritage du New Labour de Tony Blair qui
est en bonne partie responsable pour le succès du SNP.[iii]
À la conférence annuelle de RIC, le 22 novembre, à
laquelle l'auteur de ces lignes a eu le plaisir de prendre la parole, 3000
personnes enthousiastes se sont rassemblées pour célébrer une campagne de
gauche pour le OUI qui a mobilisé des centaines de milliers de personnes de
milieux défavorisés et de la classe ouvrière, dont beaucoup n'avaient jamais
voté dans une élection. Pendant plusieurs mois, des milliers de militantes et
de militants ont fait du porte-à-porte et organisé une foule d'événement
partout au pays. Le militant socialiste Tariq Ali, influent dans les milieux
radicaux de Londres depuis la fin des années 1960, a déclaré à la foule
rassemblée au Clyde Auditorium que c'était la plus impressionnante campagne
qu'il ait jamais vue!
Un mouvement
internationaliste contre l’austérité
Une grande partie du momentum favorable à l’indépendance
au cours des dernières années provient du fait que le parti nationaliste (SNP)
s’est positionné à gauche du gouvernement Travailliste de Blair, puis nettement
en opposition avec la coalition des Conservateurs et des Libéraux-Démocrates
présentement au pouvoir. Par exemple, lorsque le gouvernement Blair a décidé d’introduire
des frais de scolarité à l’université (ce que même Thatcher n’avait pas osé
faire!), l’Écosse a refusé cette politique et maintenu la gratuité scolaire.
Plus récemment, lorsque le gouvernement Cameron a introduit une pénalité pour
les prestataires de l’aide sociale qui disposaient d’une chambre inoccupée dans
leur logement (Bedroom Tax), le gouvernement d’Édimbourg a décidé de compenser
entièrement pour cette mesure avec ses propres ressources.
Les quelques mesures progressistes adoptées par le
gouvernement SNP, qui reste aligné sur le grand consensus néolibéral sur la
plupart des questions, ont donné une crédibilité dès le départ à l’argument qu’une
Écosse indépendante serait plus juste et égalitaire. Cette impression à de
profondes racines historiques remontant aux origines du syndicalisme et du
parti travailliste, et à la force des courants de gauche radicaux dans l’histoire
contemporaine du pays.
Les enjeux de la paix et de la solidarité internationale
ont également été importants dans la campagne. La majorité de la population a
toujours été opposée à ce que l’arsenal nucléaire Trident soit établi dans le
golfe de la Clyde, un peu à l’ouest de Glasgow. L’opposition à la guerre en
Iraq était également très forte, ce qui a contribué au déclin de l’influence
des Travaillistes. La campagne RIC allait plus loin que le SNP (sur cette
question comme sur les enjeux de justice sociale et économique) en demandant un
retrait pur et simple de l’OTAN.
Même la campagne principale du OUI, menée par le SNP, n’est
jamais tombée dans le nationalisme ethnique. Des comités du OUI basés sur les
membres de diverses communautés minoritaires ont joué un rôle important dans la
mobilisation, de même que les femmes pour l’indépendance, les syndicalistes
pour l’indépendance, etc.
Les panels principaux de la conférence du 22 novembre
présentaient une grande diversité politique, allant d'une militante de gauche
membre du SNP à des intellectuels indépendantistes en passant par des vieux
socialistes revigorés, des jeunes de 17-18 ans déjà vétérans d'une campagne
politique majeure, des Verts, des féministes, des pacifistes, etc.
Les invités internationaux, en plus du Québec,
représentaient la gauche indépendantiste catalane (CUP), Podemos (Espagne),
Syriza (Grèce) et des campagnes contre la pauvreté... à Londres! La gauche indépendantiste
écossaise situe son combat très clairement en solidarité avec toutes les luttes
contre l’austérité, contre l’impérialisme et contre le néocolonialisme.
Et maintenant?
La grande question qui tracasse maintenant la gauche
écossaise est de comment se situer face à un parti nationaliste avec le vent
dans les voiles et une aura progressiste en partie méritée. Un parallèle
québécois serait le gouvernement Lévesque au lendemain du référendum de 1980.
Souvenons-nous que le PQ avait enregistré son meilleur résultat électoral en
1981, avec 49% du total des suffrages, deux fois plus qu'en avril dernier...
Des militantes et militants de RIC et de divers groupes et
partis affiliés à cette campagne, viennent de lancer l'Initiative de la gauche
écossaise (Scottish Left Initiative[iv])
pour lancer un processus devant mener à la fondation d’un nouveau parti à temps
pour les prochaines élections écossaises en mai 2016. Le SSP, qui avait obtenu
6 sièges au parlement écossais en 2003, mais a souffert d’une crise interne
majeur l’année suivante et est resté modeste depuis, participe à cette
initiative.
Le scénario auquel rêvent bien des militantes et militants
est que la prochaine élection au parlement écossais donne à la fois un
gouvernement et une opposition officielle indépendantistes. Ce qui semble
possible avec l’effondrement du Labour et le succès de RIC. Ce qui, avec une
victoire du SNP l'année précédente pour Westminster et l'aboutissement
probablement décevant du processus politique post-référendaire (la commission
Smith), pourrait créer de véritables conditions gagnantes pour un second
référendum quelque part entre 2017 et 2020.
Ce qui est certain est que l’enthousiasme et l’optimisme
dominaient le rassemblement du 22 novembre et que les militantes et militants
qui ont vécu la campagne référendaire sont loin d’avoir abandonné la partie.
Elles et ils se promettent de maintenir la mobilisation, tant contre les
politiques militaristes de Londres que les projets d’exploitation des gaz de
schiste ou les politiques néolibérales du gouvernement SNP. Reprenons en
conclusion les mots de Cat Boyd, une des figures de proue de RIC, à la fin de
leur conférence : « Nous sommes l’Écosse radicale, et nous sommes là
pour rester! ».
[iii]
Aux dernières élections britanniques, en 2010, sur les 59 députés écossais,
Labour en avait obtenu 41, les conservateurs un seul (d’où la blague disant qu’il
y avait plus de pandas au zoo de Glasgow que de conservateurs en Écosse), les
Libéraux-démocrates (centre-droite) 11, et le SNP seulement 6. Les
Travaillistes ont obtenu la majorité des sièges écossais à toutes les élections
depuis 1959! Par contraste, un sondage récent donne les intentions de votes
suivantes : Conservateurs 15%, Labour 27%, Lib-Dem 4%, SNP 43%. Ce qui
donnerait une majorité écrasante de sièges au SNP avec le mode de scrutin
uninominal à un tour.
Commentaires
Enregistrer un commentaire