Revenons d’abord sur les
observations faites dans le premier texte [i].
Une stratégie pancanadienne pour la gauche québécoise indépendantiste devrait
s’articuler autour de quelques constatations de base.
- Le danger d’un autre mandat conservateur (surtout majoritaire) est minime.
- Le scénario le plus probable pour octobre 2015 est l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire avec la balance du pouvoir au NPD. Une majorité libérale est envisageable.
- La remontée du Bloc québécois est peu probable et n’affecterait pas beaucoup le portrait d’ensemble de toute façon.
- La gauche sociale et politique québécoise, tant dans les mouvements qu’à QS, ne se reconnaît pleinement dans aucun des partis politiques fédéraux actuels.
Que faire alors? On pourrait
toujours rêver à un nouveau parti pancanadien rejetant le colonialisme tant au
sein du Canada qu’ailleurs dans le monde, un parti qui serait un allié
indéfectible à la fois de la lutte des Premières nations pour leur
autodétermination et des aspirations du peuple québécois pour son émancipation.
Pour venir à bout du projet commun à toute la classe dirigeante d’un Canada
puissance pétrolière, financière et militaire, impérialiste et arrogante, une
grande coalition des peuples et des mouvements est nécessaire.
Un pavé dans la mare
Mais 12 mois ne donnent pas le
temps d’avancer dans cette voie jusqu’à la fondation d’un nouveau parti. Le
Forum social des peuples était une étape importante. Espérons qu’il aura lancé
une dynamique de coordination et de convergence des luttes qui va durer. En
attendant, une autre tactique qui pourrait porter fruit et qui est déjà à notre
portée consisterait à présenter des candidatures indépendantes dans certaines
circonscriptions bien choisies, avec l’appui de divers partenaires de la gauche
et des mouvements. De nouvelles organisations locales émergent depuis quelques
années dans différentes villes canadiennes en opposition aux politiques d’austérité
et à l’impérialisme canadien[ii].
Certains de ces groupes envisagent une action sur le terrain électorale que
nous pourrions encourager en prenant des initiatives à Montréal, Québec et
ailleurs.
Imaginons une militante du
mouvement contre les oléoducs qui se présenterait contre Trudeau dans Papineau,
une autre du mouvement de solidarité avec la Palestine dans Outremont contre
Mulcair, un syndicaliste de Calgary contre Harper, etc. Ces personnes
pourraient, chacune à leur façon et avec l’appui de réseau locaux à géométrie
variable, constituer autant d’empêcheurs de tourner en rond, autant de pavés
jetés dans la mare stagnante de la politique canadienne. En relayant les
revendications, les critiques et les projets des secteurs les plus combatifs de
l’opposition extra-parlementaire, ces petites campagnes liées par des liens de
complicité mais pas forcément par une plateforme commune complète,
permettraient à la rue de faire son entrée dans les urnes et de faire
comprendre à tous les partis que la routine habituelle ne suffira plus, qu’il y
a des gens qui en ont assez de la vieille politique nationaliste canadienne.
En guise d’inspiration,
souvenons-nous de la campagne de Michel Chartrand contre Lucien Bouchard dans
Saguenay en 1998 ou de celle de Paul Cliche dans Mercier en 2001. Ces résultats
modestes (14% et 24% respectivement) peuvent paraître bien minces. Mais sans ces
premières avancées, on n’aurait difficilement pu fonder l’Union des forces
progressistes en 2002 et Québec solidaire en 2006, et faire élire trois députés
en 2014. Il faut commencer quelque part!
Pour ce faire, il faut rompre à
la fois avec l’électoralisme et avec son jumeau le mouvementisme.
L’électoralisme social-libéral du NPD s’accommode sans problème avec la
« neutralité » des mouvements sociaux sur le terrain électoral. En
même temps, la bureaucratie des mouvements sociaux vit très bien avec l’absence
de responsabilité politique pour elle-même, qui permet de justifier le
défaitisme et l’absence d’une stratégie de combat. Des candidatures
indépendantes seraient pertinentes et utiles à partir du moment où elles permettent
de rompre avec cette division stérile afin de permettre à la mobilisation de la
rue et à celle des urnes de se féconder réciproquement.
Ces campagnes modestes seraient
aussi des occasions de rassembler des personnes et des groupes qui ne
travaillent pas toujours ensemble autour d’un objectif simple. Bref, ce serait
un pas important vers une nouvelle pratique politique. On pourrait s’inspirer
de l’expérience récente de Podemos en Espagne, comme le suggère Durant Folco
dans un texte fort intéressant.[iii]
Le choix des candidates et des candidats ainsi que la plateforme pourraient
être le résultat d’un processus de démocratie participative ouvert et
interactif tirant avantage des possibilités du Web 2.0.
Préparer l’avenir sans dénigrer ce qui existe
Bien entendu, ces éventuelles
candidatures indépendantes ne régleraient pas la question de comment les
indépendantistes de gauche devraient voter dans les autres circonscriptions.
Sur ce terrain, on doit accepter que des objectifs stratégiques partiels et à
court terme prennent le dessus sur la perspective de transformation globale qui
est la nôtre.
Face à la probabilité d’un
gouvernement Trudeau et à la possibilité d’un sursis pour Harper, il demeure
que le NPD offre la meilleure alternative pour un gouvernement fédéral
progressiste qui pourrait être un allié pour les mouvements sociaux sur
certaines questions (droits syndicaux, service postal, soutien aux
organisations de défense de droits…). Nous pouvons comprendre que bien des gens
de gauche continuent de lui accorder leur appui malgré le ralliement des
dirigeants du parti au social-libéralisme, soit à la version « de gauche »
d’une politique d’austérité, comme on l’a observé récemment en Nouvelle-Écosse,
et dans les campagnes électorales en Colombie-Britannique et en Ontario. Nous
pouvons inviter ces personnes à voter NPD dans leur circonscription tout en
appuyant les candidatures indépendantes ailleurs.
Nous pouvons comprendre aussi
pourquoi l’élection de Mario Beaulieu comme chef du Bloc québécois rend ce
parti attirant pour la frange de gauche du mouvement indépendantiste. Il
apparait par contre que cette victoire surprise des « pressés » était
un accident de parcours pour l’establishment souverainiste et qu’un tel
scénario ne se répétera pas au Parti québécois. Malgré tout, un vote indépendantiste
clair lors des prochaines élections fédérales serait un pas en avant. Même à
15% ou 20% des voix, ce serait au-delà des appuis combinés de Québec solidaire et
d’Option nationale aux élections d’avril dernier (le PQ ne comptant plus pour grand-chose
dans cette équation). À ces personnes nous pouvons dire que les conditions d’une
victoire indépendantiste dépendent de notre capacité à mobiliser la population
autour d’un projet politique démocratique, progressiste, écologiste et
internationaliste, et de la solidité de nos alliances avec les Premières
nations et la gauche du reste du Canada. Les candidatures indépendantes
méritent donc aussi leur appui.
En conclusion, au lieu de
paniquer en exagérant la menace que représente une réélection des
Conservateurs, restons calmes et trouvons de nouvelles manières de rassembler
l’opposition aux politiques du présent gouvernement, dont plusieurs ne
changerons pas sous un régime libéral ou même du NPD. Ainsi, nous aurons un
impact plus important sur le contenu de la campagne électorale elle-même et
pourrons préparer la suite des choses, tant pour le combat des urnes que pour
celui de la rue.
Rassemblons toutes les personnes
qui se reconnaissent dans cette perspective à long terme, au-delà des
divergences tactiques du moment. Dans tous les cas de figure pour ce qui est
des résultats de l’élection de 2015, le ralliement de forces sociales diverses
autour de candidatures enracinées dans les mouvements et portant les idées
radicales dont l’humanité a besoin nous donnerait un élan dans la bonne
direction.
[ii] On pense à Solidarity Halifax,
Solidarity Against Austerity (Ottawa), the Toronto Workers’ Assembly, We Are
Oshawa, etc. Certains de ces groupes se sont rencontrés en marge du
Forum social des peoples et ont entrepris de maintenir une certaine
coordination. Le Réseau écosocialiste est un des groupes participants.
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