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Le double mandat de l’assemblée constituante (suite)

Ma proposition consistant à donner à l’assemblée constituante le mandat de rédiger deux constitutions, une provinciale et une nationale, a soulevé plusieurs réactions, notamment une élaboration enthousiaste de la part de Jonathan Durand Folco.[i] Il y a ajouté l’idée du tirage au sort des membres de l’assemblée constituante, développée par Roméo Bouchard dans un livre récent.[ii]

Le petit débat qui est en cours sur cette nouvelle vision, plus précise, de l’assemblée constituante, fait suite à une discussion déjà amorcée à Québec solidaire depuis plusieurs mois, notamment à la Commission thématique sur la souveraineté (dont fait partie Jonathan Durand Folco) et dans un manifeste, publié à la veille de la dernière élection par des militantes et militants indépendantistes membres de Québec solidaire, d’Option nationale et non-affiliés.[iii]

Dans toutes ces discussions, on place souvent au centre des préoccupations l’enjeu de la stratégie indépendantiste. Autrement dit, on se demande quelle est la meilleure manière de réaliser l’indépendance du Québec. Si on se place sur ce terrain, on peut avoir des doutes quand à la pertinence de laisser la porte grande ouverte à une issue fédéraliste au processus constituant. On peut aussi avoir des doutes quand à l’honnêteté de la proposition constitutionnelle provinciale qui en sortirait, c’est-à-dire sa faisabilité légale dans le cadre constitutionnel canadien. Jonathan répond très bien à ces objections dans son dernier texte.

Pour ma part, le point de départ est différent, c’est celui de l’autodétermination nationale. Et ce nouveau point de départ m’apparait le plus prometteur comme réponse à la double série d’échecs subis par le mouvement souverainiste ET par les forces du fédéralisme « renouvelé » ou autonomiste. Il s’agit de mettre la patrie au-dessus des partis, et à cet égard, je me rallie à l’idée du tirage au sort comme expression ultime de cette non-partisannerie dans la démarche d’autodétermination. Cette formule ayant aussi l’avantage de simplifier grandement la mécanique assurant la diversité de la composition de l’assemblée.

On a tendance à oublier, plus de trente ans après le coup de force constitutionnel de 1982, que les deux grands partis politiques qui se partageait l’Assemblée nationale à l’époque étaient contre. En fait, les différences entre les deux étaient moins importantes qu’on pourrait le croire. Le PQ de Lévesque proposait une souveraineté-association, incluant des institutions communes importantes avec le Canada. Le PLQ de Claude Ryan et de Robert Bourassa proposait de son côté une décentralisation importante des pouvoirs vers le Québec. Il s’agissait en fait de deux tendances dans la grande famille autonomiste qui domine la politique québécoise depuis Honoré Mercier. Aucun des deux partis n’avançait de projet clairement indépendantiste ou celui d’une instance indépendante du gouvernement et de l’Assemblée nationale pour élaborer la constitution.

Le camp du statu quo, de l’acceptation résignée de la constitution imposée au Québec par l’État fédéral et les autres provinces, ne s’est imposé au Parti libéral que sous la gouverne de Jean Charest. Même Philippe Couillard n’a pu s’empêcher, au début de la récente campagne électorale, d’évoquer une possible nouvelle entente constitutionnelle, faisant suite à l’échec de Meech et de Charlottetown. Et le pris pour cet abandon de l’autonomisme par les libéraux a été le succès relatif de l’ADQ puis de la CAQ.

Un des objectifs de ma proposition est d’éveiller ce camp fédéraliste autonomiste, de le mettre au défi de proposer à nouveau sa vision du Québec et de se tenir debout face au mélange d’indifférence et d’hostilité qui habite l’essentiel de la classe politique du reste du Canada sur cette question. Il s’agit aussi de les inclure pleinement dans la démarche d’autodétermination nationale au lieu de les considérer comme de simples complices de la domination fédérale. Ainsi, le camp de l’autodétermination, en additionnant celui des indépendantistes et celui des autonomistes, pourrait rallier rapidement la majorité de la population et mettre fin à la peur et à la passivité qui nous paralysent collectivement depuis 1995.

Le double mandat est aussi une réponse à la mutation identitaire du souverainisme. Dans un texte qui date du début de 2013, j’avais avancé une explication pour la crise profonde du PQ et du Bloc.[iv] En bref, l’absence de contenu social, démocratique ou autre à leur projet de pays, combinée avec leur vide stratégique, ont mené ces partis à faire de l’idée de la souveraineté rien de plus qu’un marqueur identitaire. Ils nous disent en substance : « Nous sommes souverainistes et donc si vous êtes souverainistes vous devriez voter pour nous. ». Cette souveraineté identitaire, qui n’a plus rien d’un projet politique concret, va aussi de pair avec une confusion entre souverainisme et identité québécoise. On nous laisse entendre que si on est vraiment québécois et qu’on souhaite défendre « les intérêts du Québec », il faut voter pour ces deux partis. L’effondrement du Bloc en 2011 et la défaite brutale du PQ en 2014 démontrent clairement qu’une bonne partie de leur base électorale traditionnelle ne veut plus les suivre sur ce terrain.

Le problème est que l’indépendance du Québec (ou la souveraineté-association, ou le fédéralisme autonomiste) n’est pas une identité mais un projet politique parmi d’autres possibles. Les autonomistes et même les partisans du statu quo ne son pas moins québécois que les indépendantistes. Le processus constituant doit appartenir à toute la population du Québec, sur la base d’un nationalisme civique strict, ce que favorise le tirage au sort des membres de l’assemblée.

Pour sortir le Québec de l’impasse actuelle, il faut donc distinguer quatre niveaux de discours politique, ceux de l’identité nationale, de la citoyenneté, de l’expertise scientifique ou technique et du projet éthico-politique.[v] L’identité nationale est mouvante, multiforme, issue de l’histoire et en constante redéfinition. Elle appartient aux artistes, aux écrivains, au domaine de la culture. Tenter d’en faire le fondement d’un projet politique, et donc d’en circonscrire le sens, conduit à des tensions profondes et à de la démagogie populiste, comme on l’a constaté avec le projet de Charte des valeurs. La citoyenneté est universelle. Si elle s’inscrit sur un territoire en raison d’enjeux identitaires, elle ne s’y limite pas. Ceux et celles qui vivent au Québec la possèdent en égale mesure. C’est à ce niveau que doit se situer le processus constituant et la démarche d’auto-détermination. L’expertise scientifique et technique a aussi une place dans les débats politiques. En ce qui concerne la constituante, il s’agira principalement de l’expertise légale des constitutionnalistes qui pourront expliquer aux membres de l’assemblée quelles sont les limites imposées à une constitution provinciale, par exemple.

Quand aux projets éthico-politiques, ils appartiennent aux partis et aux mouvements sociaux, aux collectifs d’intellectuels, etc. Ils sont par essence multiples, comme le sont les valeurs, les intérêts et les opinions qui s’y confrontent. L’idée de l’indépendance du Québec doit se situer sur ce terrain. C’est un choix collectif possible, le meilleur dans les circonstances actuelles du néocolonialisme canadien et de la mondialisation. Mais il ne doit pas être confondu avec l’identité nationale ou le droit partagé par toute la population à déterminer son avenir.



[ii] Roméo Bouchard, Constituer le Québec. Pistes de solution pour une véritable démocratie, Atelier 10.
[v] J’emprunte ici à une lecture indirecte d’une des thèses de Habermas sur les niveaux du discours politique. 

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