Les résultats de Québec solidaire
à cette élection peuvent paraître décevants. Passer de deux à trois députés et
de 6% à 7,5% des votes n’est pas une progression remarquable face à un PQ
désorienté et un PLQ ultra-terne. Bien des voix se font entendre, comme au
lendemain de chaque élection, pour trouver dans le scrutin proportionnel une
solution à cette relative marginalisation. Une telle réforme serait
souhaitable, sans doute, mais sans une progression bien plus rapide de nos
appuis, on troquerait notre position de tribuns sans pouvoir réel pour celle de
partenaire de coalition avec des forces politiques hostiles aux intérêts que
nous défendons. Des convergences au cas par cas, c’est bien, mais une structure
politique stagnante avec QS dans le rôle de perpétuel 4e violon n’est
pas une perspective d’avenir.
Peu importe le mode de scrutin, le
défi des quatre prochaines années sera de s’appuyer sur nos milliers membres pour rejoindre les centaines de milliers
qui ont voté pour nous, en recruter le plus grand nombre possible, les
mobiliser, les organiser et préparer pour 2018 une campagne sans précédent dans
l’histoire du parti. Bref, il s’agit de développer un véritable parti
mouvement, un parti en campagne continuelle, tant sur une base autonome qu’en
appui aux luttes sociales. Québec solidaire peut et doit devenir un parti
enraciné dans les communautés et qui travaille à créer un espace politique
nouveau, par la base, en vue d’une transformation des rapports de pouvoirs
eux-mêmes, et non d’un simple accroissement graduel de sa place dans une
structure politique faite pour les dominants.
C’est la possibilité de ce saut
qualitatif qui a donné à plusieurs le sentiment que le résultat du 7 avril
était une réelle progression, une raison indéniable de se réjouir. Mais si nous
échouons à réaliser ce potentiel, un résultat presque identique dans quatre ans
aurait un effet pour le moins démobilisant. Bref, on peut voir l’élection d’avril
2014 comme une marche de plus dans une longue escalade, ou on peut la voir
comme un tremplin…
Comment faire? Ratisser large et ratisser serré
Certaines pratiques qui se sont
développées à Québec solidaire au cours des années constituent une bonne base
sur laquelle on peut construire. Nous avons mené des campagnes politiques
nationales (Courage politique, Pays de projet et Sortir du noir), le journal
Solidarités en est à trois numéros, des dépliants thématiques ont été produits
sur l’éducation, les droits syndicaux, l’économie écologique. Mais au rythme d’une
grande campagne politique par année, avec quelques assemblées publiques et un
peu de diffusion de matériel, nous n’arriverons pas au progrès qualitatif nécessaire.
C’est bien de ratisser large, mais les grands filets sont plein de trous.
Une suggestion est qu’on ajoute à
ces grandes campagnes thématiques de petites campagnes ciblées. Par exemple,
lorsque l’aile parlementaire dépose un projet de loi ou une motion importante,
on peut mobiliser autour d’une pétition en appui à cette initiative.
Aussi, les campagnes, grandes et
petites, longues et courtes, devraient occuper l’essentiel du temps que nos
membres seront disposé à consacrer au parti. Il s’agit de donner une importance
secondaire à nos affaires internes pour se tourner vers l’extérieur en
direction de la base électorale du parti et de la population.
Là où nous avons obtenu des
résultats significatifs en 2014 et où la base militante est déjà relativement
nombreuse, on devrait organiser des opérations de porte-à-porte avec ces
campagnes. Ailleurs, on pourrait se présenter dans des lieux publics et inviter
la population à nous rejoindre avec de l’affichage et des rencontres de
mobilisation ouvertes.
C’est ce que j’appelle ratisser
serré. Sans ce travail systématique de construction de l’organisation, toutes
les belles stratégies de l’aile parlementaire et de la direction du parti n’arriveront
pas à faire débloquer la situation, les partis de droite auront toujours des
moyens nettement supérieurs aux nôtres (en plus de la complicité des médias) et
nos campagnes électorales seront toujours belles mais modestes, nos porte-parole
seront toujours appréciés mais pas perçus comme des alternatives réalistes pour
le gouvernement.
Parti de la rue et contre-pouvoirs
L’autre ingrédient essentiel à un
changement qualitatif du paysage politique en faveur de la gauche est bien
entendu la force des mobilisations sociales contre les politiques du
gouvernement en place et des partis de droite qui prétendent former « l’opposition ».
La véritable opposition, pour les quatre prochaines années, sera dans la rue.
Québec solidaire va démontrer sa pertinence et son rôle d’alternative globale
et concrète en s’inscrivant pleinement dans ces luttes, dans le respect de l’autonomie
des mouvements.
En plus de faire de Québec
solidaire un mouvement politique, nous pouvons nous appuyer sur le réseau
exceptionnel de militantes et de militants que nous avons construit pour
renforcer et unifier les luttes sociales. Ce sont ces mouvements qui ont rendu
QS possible. Nos membres y sont toujours impliqués ou en sont issus. Il est
temps maintenant de démontrer que le parti peut être au service des mouvements
et les aider à remporter des victoires.
Nous aurons des luttes à mener
contre les projets de pipelines et le Plan Nord, contre les hausses de tarifs
et la privatisation, pour la qualité des services publics et de bons contrats
de travail dans tout le secteur public (avec la ronde de négociations qui
débute). Il faudra poursuivre le combat pour la dignité des moins fortunés,
pour l’égalité réelle entre femmes et hommes, contre la discrimination sous
toutes ses formes.
Un des faits remarquables et
généralement ignoré de la récente campagne a été l’abandon du PQ par le mouvement
syndical et communautaire. Encore en 2012, sans doute en raison de la situation
de crise qui résultait de la grève étudiante et de l’infâme loi spéciale, des
secteurs significatifs de ces mouvements appelaient encore à voter « stratégiquement »
pour le PQ afin de battre les Libéraux. Cette fois-ci, la grande majorité de
ces voix sont restées silencieuses et nous avons obtenu plus d’appuis
explicites pour QS que jamais.
D’ici quatre ans, nous devons
multiplier les occasions de convergence et de complémentarité entre notre
travail politique et celui des mouvements. On peut souhaiter qu’en 2018, il
sera normal - je dirais même évident - pour bien des organisations de la
société civile, d’accorder un appui à Québec solidaire face aux partis de la
droite et du patronat. Comme le disait Tomy Douglas, il faut que les souris
arrêtent de voter pour des chats!
Un nouveau sens commun
Il s’agit, ultimement, de
développer un nouveau sens commun, une vision du Québec et du monde qui rejette
comme absurde certaines des idées clés que partagent les trois partis de droite
et en présente de nouvelles comme allant de soi. Non, il n’y a pas que le
secteur privé qui « crée de la richesse ». Non, il n’est pas logique
de produire notre propre pétrole avec des techniques particulièrement
destructrices simplement pour réduire les importations. Oui, on peut éliminer
notre dépendance au pétrole d’ici 2030. Oui, on peut répartir le fardeau fiscal
plus équitablement et financer correctement les services publics. Non, on ne
peut pas indéfiniment faire plus avec mois. Non, on n’est pas obligés de céder
devant l’angoisse fiscale des riches et le chantage des marchés financiers. Oui,
l’indépendance du Québec est possible et les efforts qu’elle implique en valent
la peine.
À chaque pas, à chaque porte, sur
chaque rue, dans chaque manifestation, sur chaque piquet de grève, avec chaque
signature ajoutée sur une pétition, chaque nouveau membre, chaque petit don,
chaque débat d’idée, chaque petite victoire, nous ferons la démonstration par
la pratique qu’un autre Québec est possible, un Québec libre, juste, vert et solidaire.
10 avril 2014
Tant vaut la méthode, tant vaut l'analyse. Ce texte a chaud me convient pour l'instant, il en trace les grandes orientations générales. Nous devons également développer d'avantage nos structures internes. Association ou Assemblée de comté, celles des Cégeps ou encore Universités, si elles n'existent pas ou prou qu'attend donc nous ? Partir des revendications citoyennes ... Etc. Sur ce nous devrions échanger davantage. Ratissé serré, de bas en haut...
RépondreSupprimerTrès bon texte dont je partage tout à fait l'analyse. 2014 doit en effet être un tremplin pour 2018 et QS doit devenir un parti-mouvement, en phase avec les luttes sociales et les mobilisations qui ne vont pas manquer d'émerger sous ce gouvernement-continuité. Dans cette perspective, j'attire votre attention sur le fait qu'un petit groupe de citoyens, appuyé par 70 organisations de la société civile québécoise, travaillent actuellement d'arrache-pied pour accueillir le Forum social mondial en août 2016 à Montréal. Ce sera une première pour cet événement phare de l'altermondialisme, la première fois que le FSM se tiendra au Nord. Imaginez, 80 000 altermondialistes au centre-ville de Montréal, à inventer le Québec et le monde de demain. Imaginez l'opportunité pour tous ceux qui ont à cœur de construire un monde différent. Imaginez la caisse de résonance pour tous les projets neufs... En tout cas, il me semble que c'est un événement à mettre à l'agenda stratégique des mobilisations. Et ce doit être un rendez-vous massif pour le parti mouvement...
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